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  • Poésie
  • Daniel Gagnon (bio)

La meilleure poésie cette année a choisi de rénover de vieilles installations ou d’ouvrir de nouveaux chantiers. Elle s’enracine dans le monde tangible du corps et de la terre. Loin du monde des faux zen et des faux mystiques, loin de la haute poésie cosmique et diaphane, elle tisse son mythe dans la trame de la vie réelle, dans l’étoffe de la vie matérielle et physique, dans tout ce qui touche la substance concrète et palpable de son quotidien. Sa troublante angoisse de vivre est le thème qui fait l’objet de sa hantise. Certes, elle veut croire à une rédemption de la terre, mais elle ne croit plus à l’avènement magique du royaume ni au messianisme ancestral. Refusant le cynisme et le désabusement, elle recherche un humanisme nouveau, une parole respectueuse de la révolte de la terre et du corps. Elle veut se couper des années d’austérité et de langue de bois des générations précédentes, désabusées et sardoniques. Elle veut vivre intensément les heures de loisir qu’il lui reste avant que la terre ne se détériore encore plus, avant que le tissu de la vie ne se désagrège complètement. Ce cri de révolte est un signe de vitalité, autant qu’un défoulement extraordinaire.

L’époque est singulière et troublante, et la poésie éclate en de multiples courants. Elle veut retrouver le niveau primitif de la parole, la sortir des [End Page 510] sarcophages antiques où sont sculptés les poèmes quelconques des vieux. La poésie ne sera pas la copie de l’original qui se trouve dans les musées, elle ne fera pas écho aux décorations ornant les sépultures vivantes. Elle a sa propre niche, ses motifs, son urgence, sa substance et son matériau. Sa mosaïque éclatante contraste avec l’uniforme voix blanche et le ton monocorde de la traditionnelle poésie sucrée. Elle ne s’extasie pas devant les belles frises conventionnelles au-dessus de la tête des poètes de cour à la solde du pouvoir. Les yeux rivés sur la vie, elle veut attirer un public curieux, de vrais amateurs compétents et décontractés à la fois. Avec son rythme endiablé, elle se fait équilibriste, jongleuse, acrobate, contorsionniste même, virtuose. Elle se lance à vive allure dans le tourbillon des mots et nous entraîne au bout de sa nuit ébouriffante.

Le Corps Sans Guide Ni Référence

Des courts poèmes, composés avec art et ficelés avec un sérieux extrême, constituent Tout, rien, quelque chose d’André Roy. Poèmes de bribes infimes de vie, des poèmes inquiétants, intelligents, d’une apparente insouciance, avec au centre le corps, fragmentaire et contenu, effrayé : « Le corps se trouve dans le corps / comme le corps nu se trouve dans le langage. / (L’ombre de toi sur moi / ressemble à celle d’une planète complète.) / Dans le vertige des nouvelles fleurs, / même connaissance, même jouissance / de celui qui sait la brûlure des choses / dormant sous sa chair / et se réveillant en criant. / Peau tendue du jeune membre au printemps : même éclat, même écriture ». Le corps qui est l’essentiel de la quête, le poète préfère l’aborder par la fiction, il invente pour ne pas s’ennuyer des phrases ludiques. Il préfère les rencontres heureuses aux théories, les promenades, les aventures aux convictions, aux projections, l’inattendu et les collages, les fragments aux règles rigides, aux systèmes. Il drague le mot imprévisible, hors des chapelles et des prédications. Il ne jure de rien, il ne se fie qu’à ses poèmes, qui glissent sans penser, qui miroitent comme dans un kaléidoscope : « Cinéma délicat où nous vieillissons séparément. / Permanence des souvenirs que nous transportons / Pendant notre long travelling sur terre. / Cinéma des étrangers, des choses dans leurs yeux / Qui s...

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