Michigan State University Press
  • « Le délit d'abandon de domicile conjugal » ou l'invasion du pénal colonial dans les jugements des « tribunaux indigènes » au Soudan français, 1900-1947
Abstract

This article aims to examine the interplay between customary law, colonial law, and French law through the study of court cases of female desertion in the region of Kayes in French Sudan (now known as Mali) for the period 1900-1947. In 1903, a new colonial legal system was decreed in French West Africa. The new legislation guaranteed that the colonial courts would enforce African customs for African subjects. In order to facilitate control over colonial courts and the application of customary laws, the colonial administration was eager to formalize and unify the content of customary laws. This formalization relied on what the "traditional power," the jurisprudence of colonial courts, and the colonial administration viewed as customary law. This process ultimately led to a kind of "invention of tradition" pertaining to family law, which with the help of "traditional power" entailed the penalization of female desertion. The colonial and local considerations of power control in the region entailed increasing restrictions over women's mobility. From 1910 onward, wives accused of desertion were increasingly forced [End Page 151] by the colonial courts to return to their husbands. If they refused, from 1914, the court started sending them to prison. Both "traditional power" and the colonial administration had agreed to declare female desertion as being henceforth a "customary offence."

En 1903, la France décrétait dans ses colonies d'Afrique occidentale française un nouveau système judiciaire qui devait garantir que les tribunaux nouvellement mis en place appliqueraient les coutumes indigènes pour les sujets français.1 Ce recours aux coutumes locales pour juger les affaires au civil fut renforcé par le décret du 16 août 1912 qui reconnaissait officiellement le « statut personnel » des sujets (article 7).2 L'architecture juridique coloniale devait à la fois assurer la domination coloniale sur les « sujets » et respecter les coutumes locales.

Le respect des coutumes locales devint très rapidement le pivot de la politique de domination du pouvoir colonial qui souhaitait de cette manière s'allier le pouvoir traditionnel et asseoir son propre pouvoir. L'administration coloniale chercha donc à « fixer » le droit supposé précolonial, dit « coutumier », pour mieux l'utiliser, notamment dans le domaine du droit de la famille. Ceci aboutit à la publication à la fin des années 1930 des « Grands coutumiers ».3 Mais cet essai de codification de la coutume mena en réalité à une certaine « invention de la tradition ».4 D'une part, la codification transforma des idées juridiques et culturelles fluides en des lois immuables. D'autre part, l'administration coloniale fut encline à projeter sur les « traditions indigènes » le cadre déformant de la morale bourgeoise française du XIXe siècle. Les chefs coutumiers tentèrent également de remanier à leur profit le « droit coutumier ». Les intérêts des colonisateurs et des chefs coutumiers se seraient finalement associés pour renforcer l'autorité masculine. Les droits et les devoirs des colonisés devinrent ainsi le produit conjugué des coutumes précoloniales, de l'invention de la tradition, et de la législation coloniale.

Dans cet article, l'étude attentive de la jurisprudence des « tribunaux indigènes » de la région de Kayes au Soudan français (Mali actuel) entre 1900 et 1947 nous montre des processus complexes d'invention du droit coutumier qui se mirent progressivement en place dans les 15 premières années du XXe siècle sous l'influence des intérêts conjugués de l'administration coloniale et du pouvoir coutumier. L'étude en particulier de la pénalisation de l'abandon de domicile [End Page 152] conjugal permet de mieux comprendre l'interaction entre doit coutumier, droit colonial et droit français.

1. La formalisation juridique de « l'abandon de domicile conjugal »

L'apparition du terme « abandon de domicile conjugal »

Entre 1907 et 1912, les affaires liées à des situations d'abandon de domicile conjugal, c'est-à-dire où des femmes quittent leur mari et demandent le divorce ou dont les maris essayent de les obliger à regagner le domicile conjugal par l'intermédiaire des « tribunaux indigènes »,5 représentent en moyenne un tiers des affaires de mariage présentées devant le tribunal de province de Kayes.6 Cependant, l'apparition du terme « abandon de domicile conjugal » en tant que tel n'apparaît pas dans les états de jugement avant le troisième trimestre de l'année 1910. Auparavant, seul l'énoncé des faits permet d'identifier un abandon de domicile conjugal: « Maka réclame sa femme qui s'est enfuie chez son père et demande à ce que sa femme revienne au domicile ou que la dot lui soit remboursée ». A partir de 1910, l'abandon de domicile conjugal apparaît plus spécifiquement dans l'énoncé des faits sous la forme: « demande de divorce pour abandon du domicile conjugal ». C'est de même à partir du troisième trimestre de l'année 1910 que les statuts musulmans /non musulmans des parties commencent à être mentionnés dans les états de jugements et de manière générale, que les énoncés des faits commencent à être précisément formalisés selon la nature de l'affaire: divorce /divorce pour incompatibilité d'humeur /divorce pour abandon du domicile conjugal /héritage /dettes /tutelle /remboursement de dot, etc. En 1910, une note du gouverneur du Soudan français au commandant de cercle de Nioro demande pour éviter des transcriptions de jugements trop longues de procéder à un enregistrement plus sommaire des jugements.7 Cette note concerne avant tout les jugements dans le cadre des conventions privées passées dans le cercle de Nioro, mais on peut imaginer que cette incitation à la simplification et à une présentation standardisée des jugements ait été une tendance générale dans le Haut-Sénégal à partir de 1910.

Dans le projet de 1903 de réorganisation de la justice en Afrique occidentale française, on pouvait déjà lire: [End Page 153]

Avec le concours des tribunaux indigènes eux-mêmes, il sera possible d'amener peu à peu à une classification rationnelle, une généralisation des usages compatibles avec la condition sociale des habitants [ . . . ] Dans ce but, vous comparerez entre eux les usages divers qui, pour varier au premier coup d'oeil dans leurs détails, n'en doivent pas moins présenter, à l'examen réfléchi, des points communs permettant de déterminer un caractère général.

Vous vous attacherez, par conséquent, à les grouper méthodiquement, à les formuler avec précision, à leur donner la clarté qui leur manque trop souvent. Ces travaux serviront plus tard à la rédaction d'un coutumier général qui deviendra la règle des tribunaux indigènes, pour les matières civiles.8

La formalisation du droit coutumier dépendait donc directement de l'administration coloniale locale qui rédigeait les coutumiers selon les renseignements donnés par les chefs coutumiers. Cette formalisation fut également le produit de la jurisprudence des « tribunaux indigènes » qui devait justifier leurs jugements d'après une coutume donnée. Progressivement, on voit apparaître dans les jugements des références précises à la coutume « fétichiste » ou « musulmane ». Les états de jugements deviennent particulièrement précis dans leur contenu à partir de 1918-1919 et il n'est pas rare de trouver des formules telles que: « La coutume prévoit la réintégration de [X] au domicile conjugal ».9

Abandon de domicile conjugal, remboursement de dot et divorce

Dans les coutumiers juridiques du Soudan français datant des premières années de la colonisation, l'abandon de domicile conjugal n'est pas évoqué en tant que tel, même dans les paragraphes concernant le divorce.10 Ces documents semblent plutôt indiquer que le fait de quitter le domicile conjugal pour une femme ait été un moyen courant de signifier son désir de divorcer. La femme allait se réfugier chez ses parents qui essayaient de la convaincre de retourner chez son mari et qui parfois tentaient de l'y ramener de force.11 Mais si la femme persistait dans son désir de rompre avec son mari, les familles se mettaient finalement d'accord sur le remboursement de la dot par la famille de la femme, le remboursement de la dot signifiant le divorce.12 La situation pouvait apparaître plus délicate lorsque la famille ne pouvait pas ou n'était pas prête à rembourser la dot. La famille était dès lors d'autant plus encline à forcer la fille à retourner chez son mari: Le 28 novembre 1909, Soussaba Mamoko mariée à Moussa Baté déclara devant [End Page 154] le tribunal, que ne s'entendant plus avec son mari, elle souhaitait divorcer.13 Le père de Soussaba Mamoko déclarant qu'il ne voyait aucun inconvénient à ce que sa fille restât avec son mari, Mamoko fut déboutée de sa demande et obligée de rester avec son mari.

Il semble cependant que ce genre de situations ait été plutôt rare, comme le montre le haut taux de divorce avec remboursement de dot dans la région à cette époque.14 Sur la période 1907-1912, dans le cercle de Kayes, les affaires de divorce représentaient en moyenne 23% des affaires présentées au civil (174 affaires de divorce pour un total de 748 affaires présentées au civil) et plus de 65. des affaires touchant aux questions de mariage (264 affaires de mariage furent présentées au civil entre 1907 et 1912 à Kayes). La fille et sa famille essayaient souvent de trouver un nouveau prétendant dont la dot permettrait de rembourser la première dot. Les deux familles pouvaient ainsi convenir que la dot serait remboursée quand la fille se remarierait.

Sur la période 1907-1912, le tribunal de province de Kayes connaît 80 affaires d'abandon de domicile conjugal.15 Entre ces deux dates, les demandes de réintégration du domicile conjugal par les maris délaissés sont en réalité en quasi constante diminution: en 1907, les demandes de réintégration du domicile conjugal représentent 48% des affaires d'abandon de domicile conjugal, avec un taux de succès de 60%. Dès 1908, même si le taux de demande se maintient à 50% des cas, le taux de succès chute à 29%. En 1910, le taux de demande n'est plus que de 25% avec un taux de succès nul, il diminue encore à 21% en 1911 et atteint 6,25% en 1912. Le taux de succès est également nul en 1912. Régulièrement sur toute la période, on voit apparaître des affaires dans lesquelles le mari donne comme option pour résoudre le problème soit la réintégration du domicile conjugal, soit le divorce. Dans la totalité des cas, c'est finalement le divorce qui est prononcé. Comme le montrent les nombreuses affaires de remboursement de dot, l'enjeu principal en cas de divorce ou de non-conclusion d'un mariage est donc bel et bien pour les deux parties la question de la dot. Tant qu'il a la garantie de récupérer la dot, ce que semble pouvoir garantir le tribunal de province, le mari s'oppose rarement au divorce. Tandis que les femmes essaient de divorcer aux torts de leur mari pour ne pas avoir à rembourser la dot. Si les femmes ne semblent pas être les plus nombreuses à demander le divorce (entre 15% et 45% des demandeurs), le détail des affaires montre que dans la majorité des cas, les hommes amènent leur femme devant le tribunal car celles-ci ont déjà émis le souhait de divorcer et ont éventuellement déjà quitté le domicile conjugal. [End Page 155]

Ces dernières remarques semblent montrer que même si d'une certaine manière les hommes tentent de contrôler leurs femmes, ils les conduisent au tribunal car celles-ci ont abandonné le domicile conjugal ou souhaitent divorcer. Ce qu'ils semblent chercher avant tout, c'est à obtenir des « tribunaux indigènes » un jugement décisif et impartial,16 car sinon ils recourraient simplement au système de la conciliation auprès du tribunal de village.17

Un premier aperçu de la jurisprudence des tribunaux de province pour la période 1907-1912 semble indiquer une tendance à une lente formalisation et uniformisation du traitement des affaires. Ces états de jugements attestent également d'une acceptation générale du divorce par remboursement de dot par les habitants du cercle de Kayes et par ses tribunaux, l'abandon de domicile conjugal se révélant être finalement une manière pour la femme de signifier son intention de divorcer. Un examen plus attentif de ces jugements va cependant nous permettre de montrer que dès 1908, une jurisprudence spécifique dans le traitement des affaires d'abandon de domicile conjugal par le tribunal de province de Kayes, se met progressivement en place annonçant sa future pénalisation.

2. Vers la pénalisation de l'abandon de domicile conjugal

Sanctionner les « inconduites »

Le 14 décembre 1908, Boubakar se présente au tribunal de province de Kayes pour demander que sa femme, qui était partie de chez lui depuis un an, revienne. Celle-ci s'y refuse. Le tribunal la condamne à 40 francs d'amende, mais puisqu'elle est insolvable, cette peine est transformée en 40 jours de prison. Le procureur général souligne à propos de cette affaire dans sa lettre du 14 juin 1909 sur le fonctionnement de la justice indigène dans la colonie du Haut Sénégal et Niger que cette peine d'emprisonnement a été infligée indûment par le tribunal de province de Kayes.18 Le procureur général ne remet pas ici en cause le fait d'infliger une peine de prison pour abandon de domicile conjugal, mais le fait que cette peine ait été prononcée au civil. Le 10 mai 1909, le tribunal de province de Kayes prononce le divorce entre Kantara Dembelé et sa femme Moussoufiman, mais il condamne cette dernière à une peine de 20 francs pour avoir quitté son mari avant le divorce.19 Le 6 novembre 1911, le tribunal de province de Kayes juge au correctionnel un abandon de domicile conjugal alors que l'administration coloniale semblait s'attacher jusqu'ici à annuler tout jugement [End Page 156] rendu au correctionnel en cette matière: Lamine Diakité déclare que sa femme s'est enfuie du domicile conjugal et refuse de le réintégrer.20 Le tribunal condamne Siora Taraoré à retourner immédiatement avec son mari. Pour la période 1905-1911, la majorité des jugements pour abandon de domicile conjugal jugés au correctionnel étaient jusqu'ici des affaires liées à un adultère, l'adultère ayant toujours été considéré comme un délit dans la jurisprudence des « tribunaux indigènes ». Il était comme en France passible de prison.21 Il est intéressant de se demander dans ces conditions si l'abandon de domicile conjugal ne tend pas dans la jurisprudence à être assimilé à l'adultère.

Les tribunaux semblent en tout cas de moins en moins enclins, comme le montre le jugement de 1909 de même que le jugement présenté cidessous, à seulement constater l'abandon de domicile conjugal et donc à prononcer le divorce sans conséquence pour la femme, si ce n'est le remboursement de la dot. La jurisprudence des « tribunaux indigènes » est de plus en plus encline à accroître le contrôle général sur les femmes à partir de 1910. Ce phénomène est également constaté par Roberts, pour la même période, dans son étude de la jurisprudence du tribunal de province de Bamako.22 Les états de jugement du tribunal de Kayes montrent même que l'idée de sanctionner clairement la femme pour son « inconduite » s'immisce de plus en plus dans la jurisprudence. Le 26 décembre 1912, Guimba Konaté demande au tribunal de province de Kayes le remboursement de la dot versée, sa femme voulant divorcer.23 Le tribunal prononce le divorce, mais condamne la femme à rester avec son mari jusqu'à complet remboursement de la dot. La défenseuse fait appel, mais le jugement en appel du 27 décembre 1912 confirme le premier jugement alors que la femme déclare ne pas vouloir rester une minute de plus avec son mari qui insulte ses parents.24

Je n'ai malheureusement pas les séries complètes de jugement pour la période 1912-1947. Cependant, un jugement datant de 1914 montre une pénalisation flagrante de l'abandon de domicile conjugal: Le tribunal de subdivision de Nioro condamna Sodié Samba à un mois de prison pour s'être obstinée à ne pas réintégrer le domicile conjugal. Certes, ce jugement n'a pas lieu dans le cercle de Kayes, mais les états de jugement et les registres d'écrou du cercle de Kayes pour la période suivante semblent indiquer que cette décision a eu des conséquences directes dans les cercles voisins. A l'occasion de ce jugement, le commandant de cercle demande lors de la transmission des états de jugements au gouverneur de la colonie si les tribunaux peuvent faire application de la coutume Bambara [End Page 157] « qui tient pour délit le fait par une femme de s'obstiner, sans raisons, à ne pas réintégrer le domicile conjugal ».25 Le procureur dont l'avis est également sollicité par le gouverneur général selon la procédure classique de transmission des dossiers de justice,26 déclare ce jugement parfaitement régulier puisque la coutume le prévoit. Le « délit d'abandon de domicile conjugal » est ainsi officiellement formalisé par l'administration coloniale en tant que « délit coutumier ».

Ce glissement à la fois colonial et coutumier du civil vers le pénal s'est effectué d'autant plus facilement que les délits ne sont pas définis dans les décrets de 1903 et 1912 sur la réorganisation de la justice indigène. Ces définitions ne sont pas précisées car c'est la compilation des coutumiers juridiques et la jurisprudence des « tribunaux indigènes » qui doivent les déterminer. Mais comme le montre cette intervention du parquet général, cette détermination doit être approuvée par le pouvoir colonial lui-même. Le juge ultime de l'application erronée des coutumes locales est donc le pouvoir colonial et non le tribunal indigène.27 Les années 1910 sont donc une période clé dans le changement de jurisprudence des « tribunaux indigènes ». Richard Roberts, à travers son étude de la jurisprudence des tribunaux des cercles de Bamako, Bougouni, Gumbu et Ségou, n'identifie pas de phénomène « d'invention de la tradition » au profit du pouvoir patriarcal pour la même période.28 Dans le cas de la région de Kayes, il semble au contraire que pour l'abandon de domicile conjugal il y ait bien eu « invention de la coutume », ce processus ayant été favorisé par le contrôle continu, depuis le cercle jusqu'au parquet général, de la « justice indigène » par le pouvoir colonial.

L'écran androcentriste colonial

Le procureur général évoque également pour ce jugement la possibilité de recourir à la contrainte par corps dans ce genre d'affaires, dans la limite de deux années puisque celle-ci est admise par la coutume dans le cercle de Nioro pour les débiteurs récalcitrants. C'est l'arrêté du 10 août 1915 qui fixe plus précisément le mode d'application de la contrainte par corps dans l'ensemble des colonies, en matière civile, commerciale et pénale.

Il est intéressant d'examiner ici le rapprochement automatique effectué par le procureur général entre le refus de regagner le domicile conjugal et l'usage de la contrainte par corps. Ce rapprochement renvoie à un débat similaire en France sur l'usage de la contrainte physique à l'égard des femmes refusant de regagner [End Page 158] le domicile conjugal. Ce débat était en 1914 en France encore loin d'être clairement tranché. L'article 214 du Code civil stipulait que la femme devait résider au domicile de son mari. La loi ne précisait certes pas les moyens auxquels pouvait recourir le mari pour contraindre sa femme à le suivre si celle-ci s'y refusait. Mais la jurisprudence française semble avoir reconnu plusieurs pratiques pour forcer la femme à regagner le domicile conjugal: le refus par le mari à sa femme des aliments hors du domicile conjugal pour la forcer à réintégrer le domicile conjugal; la saisie par la justice des revenus appartenant à la femme. Ces mesures avaient toutes pour but de ramener la femme par le besoin.29 Se posait également la question de la contrainte physique par l'emploi de la force publique pour reconduire la femme au domicile conjugal.30 C'est dans ce cadre que s'inscrit le débat sur l'abandon de domicile conjugal et la contrainte par corps. Certains juristes ont ainsi avancé que le fait de recourir à la force publique pour obliger la femme à regagner le domicile conjugal s'apparentait en réalité à la contrainte par corps. Le même lien entre abandon de domicile conjugal et contrainte par corps était donc fait à la fin du XIXe siècle en France. Même si ce lien devait se révéler abusif,31 de nombreux juristes tentèrent régulièrement de trouver une justification juridique à l'emploi de la force publique pour ramener manu militari la femme au domicile conjugal.32

Cette question de la contrainte par corps, soulevée par le procureur général, atteste de la tendance générale de l'administration coloniale à transposer sur les sociétés africaines et en particulier sur la famille africaine les débats métropolitains liés à la morale bourgeoise du XIXe siècle, et donc à aborder les questions concernant la famille africaine à travers un écran androcentriste colonial.33 Cette projection est particulièrement visible dans la rédaction des coutumiers juridiques qui sont formalisés sur un modèle étrangement proche du Code civil français de 1804. Dans le coutumier Bambara du cercle de Bougouni sont recensées les rubriques « Du mariage », « Des conditions requises pour contracter le mariage », « Des devoirs du mari », « Des devoirs de la femme ». Il est également spécifié: « 221. La femme doit suivre son mari là où il va résider, s'il l'exige ».34 Dans cette dernière rubrique, il est d'ailleurs précisé que cette obligation serait plutôt d'invention récente et avant tout exigée par les fonctionnaires dans leur contrat de mariage.35

Les états de jugements étant très incomplets pour la période 1912-1947, il est difficile de retracer la jurisprudence quant à l'abandon de domicile conjugal pour cette période. Cependant, les registres d'écrou, eux-mêmes malheureusement [End Page 159] incomplets, peuvent nous permettre de retrouver les traces de femmes emprisonnées pour abandon de domicile conjugal. Le 20 décembre 1926, Diénéba Kassé domiciliée à Kayes Liberté est emprisonnée pour une durée de six mois pour abandon de domicile conjugal.36 Le 10 juillet 1936, Fatouma Dramé demeurant à Kayes est condamnée à une peine de trois mois de prison pour refus de réinté-grer le domicile conjugal. La même année, le 23 juillet, Sira Sidibé est également condamnée par le tribunal de premier degré de Kayes à trois mois de prison pour refus de réintégrer le domicile conjugal.37

Le contrôle des populations en ces périodes de changements sociaux et économiques se révélant tout aussi central pour l'administration locale que pour le pouvoir dit « traditionnel », il n'est pas étonnant que ces deux pouvoirs se soient retrouvés pour contraindre les femmes à réintégrer le domicile conjugal, au besoin en les envoyant en prison.

Aux lendemains de la Première Guerre mondiale, le pouvoir colonial choisit en effet de s'appuyer sur la chefferie traditionnelle qui est prête à collaborer tant que ses pouvoirs sont maintenus, en particulier dans le domaine de la famille. Pour ne pas mettre en danger son alliance avec le pouvoir traditionnel, le pouvoir colonial essaie donc d'appliquer, à tous les niveaux, une politique de maintien de la famille indigène perçue comme la base de la stabilité de la société indigène et de l'autorité traditionnelle.38

L'articulation famille indigène /pouvoir traditionnel /ordre colonial est particulièrement visible dans la circulaire Brunet du 5 octobre 1920:

La famille est la base de la société indigène: l'autorité du chef de famille en est le ressort. [ . . . ] L'œuvre d'émancipation de l'individu [souligné dans le texte original], que nos concepts mentaux nous inclinent à poursuivre, risque ainsi de troubler profondément l'ordre indigène, d'ébranler un système social sur lequel repose au surplus notre propre domination: je n'ai pas besoin de rappeler que c'est cette autorité du père de famille [soulignés dans le texte original] et, par extension, du chef de village ou de canton, que, récemment encore, nous mettions en œuvre pour assurer le recrutement des contingents destinés aux champs de bataille européens.39

Les rapports politiques des années 1930 sont très marqués par cette peur fondamentale de la désagrégation de la famille et de la « société indigène ». Dans le rapport politique annuel du Soudan français de 1930, le lieutenant gouverneur [End Page 160] parle de « désagrégations [des] communautés indigènes », de « régression complète vers l'individualisme » allant même jusqu'à déclarer que:

l'effondrement des sociétés indigènes constituerait pour nos sujets un désastre moral en même temps que matériel, en atteignant d'autre part notre autorité tutélaire et bienfaisante qui serait impuissante à s'exercer sur une poussière d'individualités anarchiques.40

Le rapport politique annuel de la colonie du Soudan français de 1934 mentionne à nouveau le problème croissant de la « dispersion des éléments constitutifs des collectivités », certaines souffrant de complète désagrégation, ce qui porte atteinte au pouvoir des chefs traditionnels.41 Comme le montre l'analyse de la pénalisation de l'abandon de domicile conjugal, cette politique de maintien de la famille indigène est largement appliquée par l'administration dans le suivi des affaires de justice indigène.

Les tentatives de résistance des femmes à la pénalisation

Une affaire assez détaillée d'abandon de domicile conjugal datant de 1939 montre précisément l'alliance entre le pouvoir patriarcal local et l'administration coloniale pour empêcher les femmes d'échapper à leur contrôle. Elle montre également les essais de résistance des femmes à la pénalisation de l'abandon de domicile conjugal. Mariam Diodo Haw est accusée en 1939 par son mari Mamadou Seydou Thiam, conseiller municipal de la commune mixte de Kayes, d'abandon de domicile conjugal.42 Son mari a porté plainte devant le tribunal de premier degré de la commune-mixte de Kayes, après que Mariam Haw soit partie se réfugier dans sa famille à Dakar. Avant son départ pour Dakar, elle avait déjà introduit une instance de divorce car elle déclarait être mal traitée par son mari. Comme elle refusait de regagner le domicile conjugal, un mandat d'amener fut adressé à la circonscription de Dakar et Dépendances pour l'interroger à Kayes. L'administrateur de la circonscription de Dakar et Dépendances, avant de mettre à exécution le mandat d'amener, souhaita recevoir la déclaration de Mariam Diodo Haw. Celle-ci lui déclara qu'elle avait quitté le domicile conjugal suite à des brutalités de la part de son mari et qu'elle refusait donc de rentrer à Kayes. L'administration coloniale du Sénégal décida de prendre sa défense contre la [End Page 161] colonie du Soudan et suspendit l'exécution du mandat d'arrêt en raison du peu de gravité du délit:

Le caractère pénal du délit d'abandon de domicile conjugal, reproché à l'intéressée, ne paraît pas nettement établi en raison des circonstances dans laquelle il a été commis. Ce délit est, en outre, assez fréquent pour exiger la mobilisation de toutes les forces de police s'il fallait contraindre, manu militari, toutes les épouses indigènes, en rupture de foyer conjugal, à rejoindre leur mari.43

L'administrateur de Kayes se montra peu enclin à adopter les vues de l'administrateur de Dakar sur cette affaire. Il remettait en cause le caractère avéré des mauvais traitements, faute de témoin, et considérait la fuite de Mariam Diodo Haw comme un abandon de domicile conjugal sans cause valable, automatiquement sanctionné par la coutume. Il défendit donc la position du mari.44

Or, Mariam Haw pouvait compter sur sa famille à Dakar descendant de la famille d'El Hadj Omar et prête « à s'opposer même par la force à l'exécution du mandat d'amener ».45 Par peur des troubles qu'auraient pu occasionner une telle opposition et après en avoir référé directement au gouverneur général de l'Afrique occidentale française, c'est la position sénégalaise qui l'emporta: Mamadou Seydou Thiam retira sa plainte en correctionnelle et demanda que sa femme vienne en conciliation à Kayes dès que son état de santé le lui permettrait. Si la conciliation devait échouer, il déclarait être prêt à ce que l'affaire soit traitée au civil pour un divorce éventuel.46

Cette affaire n'empêcha pas pour autant les « tribunaux indigènes » de continuer à prononcer des peines d'emprisonnement pour abandon de domicile conjugal, comme en atteste le registre d'écrou de 1941 du cercle de Kayes: Le 24 avril, Fanta Dramé domicilié à Kayes-Quinzambougou était emprisonnée suite à une condamnation par le tribunal de 1er degré de la Subdivision de Kayes à un mois de prison pour abandon de domicile conjugal.47

En 1946, la suppression de la justice pénale indigène dans les colonies48 entraîna la suppression du délit d'abandon du domicile conjugal, mais seulement pour une courte durée puisque suite aux plaintes adressées par les notables à l'administration49 était promulgué le 19 novembre 1947 au journal officiel de l'AOF un décret modifiant l'article 337 du Code pénal: en cas de mariage coutumier, si la femme abandonne le domicile conjugal sans motif grave ou hors des cas prévus par la coutume, elle peut subir une peine d'emprisonnement d'une [End Page 162] durée de trois mois à deux ans. Seul le mari peut mettre fin à la condamnation en consentant à reprendre chez lui sa femme.50

On s'aperçoit, à partir de l'étude de la pénalisation de l'abandon de domicile conjugal, que l'une des principales préoccupations de l'administration coloniale est le contrôle des populations. Les abandons du domicile conjugal, les « exodes », et en général tous les mouvements de population dans la région montrent clairement les faiblesses de la politique coloniale en matière de contrôle et de domination sur les sujets. Le pouvoir colonial se devant d'être absolu, il doit à tout prix les faire cesser: « En raison du degré de formation des indigènes et de leur nombre une surveillance spéciale doit s'exercer sur eux. »51

L'administration coloniale contribua directement à l'invention du « délit d'abandon de domicile conjugal ». Le contrôle autoritaire général effectué sur les populations, et en particulier la fréquence du recours au Code de l'indigénat,52 contribua à la massification de l'usage de la prison par les agents de l'administration coloniale et en conséquence, à sa banalisation et à sa réappropriation rapide comme mode de sanction par la justice indigène elle-même.53

Enfin, le contrôle des populations en ces périodes de profonds changements se révélant tout aussi central pour l'administration locale que pour le « pouvoir traditionnel », il n'est pas étonnant que ces deux pouvoirs se soient « retrouvés » pour contraindre les femmes à réintégrer le domicile conjugal, au besoin en les envoyant en prison.

Conclusion

L'analyse de la jurisprudence de l'abandon de domicile conjugal pour la période 1900-1947 montre que la constitution progressive de l'abandon de domicile conjugal en tant que « délit » fut le produit de la conjonction de trois phénomènes parallèles:

L'administration coloniale souhaitait premièrement formaliser de manière systématique la coutume, et donc fautes et infractions, en s'appuyant sur ce que le « pouvoir traditionnel » et les « tribunaux indigènes » déclaraient être la coutume, ce qui la conduisit à reconnaître comme réguliers des jugements basés sur des coutumes sans doute « inventées ».

De plus, l'organisation de la justice indigène par l'administration coloniale provoqua l'invasion du pénal colonial54 dans les jugements des « tribunaux [End Page 163] indigènes » au Soudan français, et dans l'ensemble des colonies, du fait du recours administratif systématique à l'emprisonnement, notamment dans le cadre de l'indigénat.

Enfin, le désir de contrôle de l'administration locale et des « tribunaux indigènes » sur les populations locales semble s'être conjugué pour renforcer l'autorité masculine et contrer le désir des femmes d'échapper à leur condition en les obligeant à réintégrer le domicile conjugal et en prononçant des peines de prison.

Ces trois phénomènes avaient encore jusqu'à récemment des conséquences directes sur la législation malienne. Comme nombres d'anciennes colonies françaises, le Mali a hérité à l'indépendance de la législation sur la famille telle qu'elle avait été élaborée par l'administration coloniale sur la base des coutumes locales mais également suivant le modèle du Code civil français de 1804. Le Code du mariage et de la tutelle promulgué en 1962,55 qui comme le Code civil français de 1804 ne reconnaît que le divorce pour faute, est toujours en vigueur, malgré plusieurs tentatives de réforme depuis la fin des années 1990.56 Le Code pénal datant de 1961, également en vigueur, précise dans son article 184: « La femme qui abandonnera le domicile conjugal sans motif grave, le mari qui répudiera sa femme, seront punis de quinze jours à trois mois d'emprisonnement et d'une amende de 20.000 à 120.000 francs ou de l'une de ces deux peines seulement. »57

Marie Rodet

Marie Rodet received her Ph.D. in African Studies from the University of Vienna in 2006. She was Postdoctoral Research Fellow at the Research Center SEDET (Sociétés en développement dans l'espace et dans le temps), University Paris-Denis Diderot. In 2008, she was awarded a Hertha-Firnberg Research Fellowship by the Austrian Ministry of Research and Science in order to continue her research at the University of Vienna. Her current research centers on gender and the end of slavery in Mali.

Notes

1. Journal Officiel [ci-après JO] de la République Française du 24 novembre 1903, 35e année- Nº319: 7094-97.

2. JO d'Afrique occidentale française du 5 octobre 1912, 8e année-Nº408: 623-30.

3. Archives nationales du Mali [ci-après ANM] Koulouba fonds ancien [ci-après FA] 2 M 3058: Circulaire nº94 a.s instructions pour l'application du Décret du 3 décembre 1931 portant réorganisation de la Justice Indigène en A.O.F. 8 mars 1932.

4. Eric J. Hobsbawm et Terence Ranger, « Introduction: Inventing Traditions », in The Invention of Tradition (Cambridge: Cambridge University Press, 1993), 1-14. Sur cette thématique dans le contexte africain, voir dans le même volume Terence Ranger, « The Invention of Tradition in Africa ». Voir également Martin Chanock, Law, Custom and Social Order: The Colonial Experience in Malawi and Zambia (Portsmouth, N.H., Heinemann, 1998). [End Page 164]

5. Sarr définit l'abandon de domicile conjugal comme le fait pour une femme d'être aban-donnée par son mari sans entretien. Dominique Sarr, « Jurisprudence des tribunaux indigènes du Sénégal: Les causes de rupture du lien matrimonial de 1872 à 1946 », Annales Africaines (1975): 143-78. Si ce type d'affaires est effectivement très fréquent dans les états de jugement du tribunal de province du cercle de Kayes, je préfère les distinguer de l'abandon par les femmes du domicile conjugal que je traiterai exclusivement ici.

6. ANM Koulouba (FA) 2 M 123: État des jugements et extraits des registres d'écrou, Kayes, 1901-1920.

7. ANM Koulouba (FA) 2 M 459: Minute manuscrite a.s. des affaires civiles devant le tribunal de province de Nioro (1er trimestre 1910), 6 mai 1910.

8. ANM Koulouba (FA) 2 M 459: Instructions aux Administrateurs de la Sénégambie-Niger sur l'application du Décret du 10 Novembre 1903 portant réorganisation du Service de la Justice.

9. ANM Koulouba (FA) 2 M 123: États des jugements rendus en matière civile par le tribunal de subdivision de Kayes pendant le mois de décembre 1920.

10. Nous avons retrouvé dans les archives de Dakar plusieurs coutumiers juridiques concernant le Soudan français datant de 1897-1899. Le coutumier de 1899 rédigé par Barat semble être une synthèse des coutumiers de 1897 répondant à un questionnaire concernant les coutumes juridiques des indigènes d'Afrique, envoyé par l'Union internationale de droit et d'économie politique à Berlin. Ce fut le premier questionnaire d'une série d'appels aux administrateurs des cercles pour qu'ils entreprennent un recensement exhaustif des coutumes juridiques en vigueur dans leur cercle. Archives nationales du Sénégal [ciaprès ANS], fonds du Gouvernement général d'Afrique occidentale française [ciaprès GGAOF] (FA) 1 G 229: Coutumiers juridiques, 1897-1899.

11. Dans le coutumier de Kita de 1897, il est précisé: « La femme qui veut rompre le mariage se réfugie chez ses parents. Ceux-ci, plutôt que de rendre la dot remettent la femme au mari ou gardent la femme et gardent aussi la dot, source fréquente de procès. [ . . . ] Ailleurs, la famille refuse d'entendre les plaintes de la femme, quelque fondées qu'elles soient, afin de ne pas rendre la dot [ . . . ] ». ANS 1 G 229: Coutumiers juridiques, 1897-1899.

12. Le coutumier Barat de 1899 souligne: « Quand pour une raison quelconque la femme quitte le domicile conjugal sans aligner de raisons plausibles elle est tenue de restituer ce qu'elle a reçue comme dot. » ANS 1 G 229: Coutumiers juridiques, 1897-1899.

13. ANM Koulouba (FA) 2 M 123: État des jugements rendus en matière civile et commerciale par le tribunal de province de Kayes, 3e trimestre 1909.

14. On peut lire dans le coutumier Barat de 1899: « Le divorce qui n'est autre chose qu'un pacte de résiliation du mariage est très fréquent chez les indigènes [ . . . ] ». Dans le [End Page 165] coutumier de Kita de 1897, il est également précisé: « Les cas de divorce sont nombreux. Il suffit que l'un des époux ne plaise plus à l'autre pour que celui-ci demande la séparation. » Le coutumier de Nioro de 1897 souligne: « Les motifs de divorce sont nombreux et ne sont pas nécessairement déshonorants pour l'époux contre lequel il est prononcé [ . . . ] ». ANS 1 G 229: Coutumiers juridiques, 1897-1899.

15. En 1907: 21 affaires d'abandon de domicile conjugal sur 56 affaires de mariage; en 1908: 14 sur 42; en 1909: 3 sur 37; en 1910: 12 sur 48; en 1911: 14 sur 37; en 1912: 16 sur 44.

16. En 1907, le tribunal de cercle de Kayes est saisi en appel d'une affaire qui venait d'être jugée par le tribunal de province de Médine, l'appelant n'ayant pas accepté le jugement rendu car il avait été jugé par des « noirs » alors qu'il réclamait la justice des « blancs ». Il ignorait vraisemblablement que le résident de Médine exerçait un droit de contrôle systématique sur les jugements rendus par le tribunal de province. ANM Koulouba (FA) 2 M 71: Rapport sur le fonctionnement des tribunaux indigènes, cercle de Kayes, 3e trimestre 1907.

17. Ibid., 2 M 71: Rapport sur le fonctionnement des tribunaux indigènes, cercle de Kayes, 2e trimestre 1907.

18. ANM Koulouba (FA) 2 M 1: Lettre nº335 au sujet du fonctionnement de la justice indigène dans la colonie du HSN pendant le 4e trimestre 1908, 14 juin 1909.

19. ANM Koulouba (FA) 2 M 123: État des jugements rendus en matière civile et commerciale par le tribunal de province de Kayes, 2e trimestre 1909.

20. Ibid., 2 M 123: État des jugements rendus en matière civile et commerciale par le tribunal de province de Kayes, 2e trimestre 1911.

21. En France à la même époque et ce jusqu'en 1975, les époux se doivent fidélité, mais ce devoir de fidélité n'est pas réellement réciproque: la femme adultère est passible d'un emprisonnement de trois mois à deux ans, alors que l'homme adultère est seulement passible d'une amende dans les cas où il fait venir sa maîtresse au domicile conjugal.

22. Richard Roberts, Litigants and Households: African Disputes and Colonial Courts in the French Soudan, 1895-1912 (Portsmouth, N.H., Heinemann, 2005), 135-38.

23. ANM 2 M 123: État des jugements rendus en matière civile et commerciale par le tribunal de province de Kayes, 4e trimestre 1912.

24. Ibid., 2 M 123: État des jugements, rendus sur appel, en matière civile et commerciale par le tribunal de cercle de Kayes, 4e trimestre 1912.

25. ANM 2 M 1: Lettre nº77 G. au sujet du fonctionnement de la justice indigène dans la colonie du HSN (2e et 3e trimestre 1914), procureur général à gouverneur général de l'AOF, 30 mars 1915.

26. Un relevé de tous les jugements rendus en matière répressive devait être envoyé [End Page 166] chaque mois par les tribunaux de subdivision au commandant de cercle selon l'article 33 du décret du 16 août 1912. Étaient donc transmis au lieutenant-gouverneur puis au gouverneur général d'AOF tous les rapports et états de jugement, ainsi que toutes les demandes d'instruction et de renseignements suscités par le fonctionnement de la justice indigène. Le gouverneur, après avoir donné son avis transmettait à son tour les dossiers au service des affaires politiques chargé de la justice qui transmettait, s'il y avait lieu, au procureur général. Dominique Sarr, « La chambre spéciale d'homologation de la cour d'appel de l'A.O.F. et les coutumes pénales de 1903 à 1920 », Annales Africaines 1 (1974): 101-15.

27. A propos du débat précis à savoir qui est juge de l'application erronée de la coutume, voir Dominique Sarr, « La Chambre spéciale d'homologation »: 104-5. Je ne suis pas sure qu'il y ait réellement opposition de vue entre magistrats du parquet général à Dakar et administration locale, puisqu'il s'agit dans tous les cas d'un processus hiérarchique de contrôle continu, comme le montre cette affaire.

28. Richard Roberts, Litigants and Households, 2005, 134.

29. A. Demante, Cours analytique de Code Civil (Paris: Librairie Plon, 1895), 449-50.

30. Sur la jurisprudence française quant à l'abandon de domicile conjugal, voir article Mariage §3, A, 701 et 702, in Gaston Griolet et Charles Vergé, Répertoire pratique de la législation, de doctrine et de jurisprudence (Paris: Librairie Dalloz, 1920), 84-85. Voir également René André, La puissance maritale envisagée quant aux droits du mari sur la personne de sa femme, thèse de doctorat (Dijon: Faculté de droit, 1916), 110-26.

31. La contrainte par corps ne pouvait être appliquée en dehors des cas prévus par la loi (voir art. 2063 du Code pénal, la contrainte par corps en matière civile et commerciale ayant été abolie en France métropolitaine par la loi du 22 juillet 1867). Il semble qu'appeler ici cette mesure « contrainte par corps » ait été un abus de langage, l'article 2063 ne trouvant pas ici son application.

32. A. Demante, Cours analytique, 450.

33. Sur l'écran androcentriste de l'administration coloniale quant aux femmes africaines, voir Marie Rodet, « C'est le regard qui fait l'histoire ou comment utiliser des archives coloniales qui nous renseignent malgré elles sur l'histoire des femmes africaines », Terrains et Travaux 10 (2006), 18-34.

34. La formule de l'article 214 du Code civil français est la suivante: « La femme est obligée d'habiter avec son mari et de le suivre partout où il juge à propos de résider. »

35. « Coutume Bambara (Cercle de Bougouni) par Alfred Aubert, Administrateur des Colonies, 1932 », in Coutumiers Juridiques de l'Afrique Occidentale Française, tome 2: Soudan (Paris: Larose, 1939), 63, 64, 67, 68. [End Page 167]

36. ANM ACI 1 M 2000: Extrait du registre d'écrou (droit commun), juillet 1927, cercle de Kayes.

37. ANM ACI 1 M 2280: Extrait du registre d'écrou (droit commun), octobre 1936, cercle de Kayes.

38. Marie Rodet, « Genre, coutumes et droit colonial au Soudan français (1918-1939) », Cahiers d'Études Africaines 187-88 (2007): 583-602.

39. CAOM fonds ministériel [ci-après FM] Affaires politiques [ci-après Affpol] 541: Circulaire Brunet nº91. A/s du mariage indigène et des droits résultant de la puissance paternelle, tutélaire ou maritale. 5 octobre 1920.

40. CAOM FM Affpol 160: Rapport politique annuel. Soudan français. 1930.

41. CAOM GGAOF microfilm (FM) 2 G 34/6: Rapport politique annuel. Soudan français. 1934.

42. Pour un traitement plus détaillé de cette affaire, voir Marie Rodet, « Genre, coutumes et droit colonial », 583-602.

43. CAOM GGAOF microfilm (FM) 15 G 16: Lettre nº657/C a.s. Affaire Mariame Diodo contre Mamadou Seydou Thiam de Kayes. Administrateur circonscription Dakar et dépendances à gouverneur général Afrique occidentale française, 29 mars 1939.

44. Ibid., 15 G 16: Lettre nº933 a.s. Affaire Mamadou Seydou Thiam contre Mariam Diodo Aw. Commandant cercle de Kayes à gouverneur Soudan, 27 avril 1939.

45. Ibid., 15 G 16: Lettre nº657/C a.s. Affaire Mariame Diodo contre Mamadou Seydou Thiam de Kayes, administrateur circonscription Dakar et dépendances à gouverneur général Afrique occidentale française, 29 mars 1939.

46. Ibid., 15 G 16: Lettre nº1839 APA3 a.s. Affaire Mamadou Seydou Thiam contre Mariam Diodo Aw. gouverneur Soudan français à gouverneur général Afrique occidentale française, 8 août 1939.

47. ANM ACI 1 M 693: Extrait du registre d'écrou du mois d'avril 1941.

48. Décret du 30 avril 1946 portant suppression de la justice pénale indigène dans les territoires relevant du ministère de la France d'Outre-Mer. René Pautrat, La justice locale et la justice musulmane en A.O.F. (Rufisque: Imprimerie du Haut Commissariat de la République en Afrique occidentale française, 1957), 115.

49. CAOM GGAOF microfilm 2 G 47/142: Revue trimestrielle des événements. Soudan français. 3e trimestre 1947.

50. René Pautrat, La justice locale, 169.

51. Rolland et Lampué, cité dans Pierre-François Godinec, Droit d'Outre-mer, tome 1: De l'Empire colonial de la France à la Communauté (Paris: Éditions Montchrestien, 1959), 115. [End Page 168]

52. Introduit tout d'abord en 1887 au coeur de la conquête coloniale, l'indigénat donnait aux administrateurs le pouvoir très large de condamner sans jugement toute infraction aux règlements coloniaux par des amendes pouvant aller jusqu'à 100F et des peines de prison allant jusqu'à deux semaines. En 1888, il fut limité à des infractions spécifiques. En 1907, ces infractions étaient précisément recensées et limitées au nombre de 26. Il était en particulier appliqué lorsque les sujets refusaient de payer l'impôt, d'exécuter le travail forcé et d'obéir en général à tout acte officiel. Il punissait aussi les sujets qui critiquaient ou insultaient l'autorité coloniale. L'indigénat procurait ainsi à l'administrateur des pouvoirs importants de police, de magistrat, de procureur et de geôlier. En principe, les pénalités prises n'étaient valables qu'après sanction par un arrêté du gouverneur de la colonie. Mais ce n'était le plus souvent qu'une simple formalité. Les sujets étaient d'abord mis en prison puis on transmettait au gouverneur pour décision. L'indigénat resta en vigueur dans les colonies jusqu'en 1946. Jean Suret-Canale, Afrique noire occidentale et centrale: L'ère coloniale (1900-1945) (Paris: Éditions sociales, 1968), 418-25.

53. Ibrahima Thioub, « Sénégal: La prison à l'époque coloniale. Significations, évitement et évasions », in Enfermement, prison et châtiments en Afrique: Du 19e siècle à nos jours (Paris: Karthala, 1999), 288.

54. Je reprends ici l'idée de « l'invasion de la prison pénale dans les colonies » développée par Florence Bernault dans son article introductif à l'ouvrage collectif sur l'enfermement en Afrique cité précédemment: « De l'Afrique ouverte à l'Afrique fermée: Comprendre l'histoire des réclusions continentales », in Enfermement, prison et châtiments (Paris: Karthala, 1999), 13-64.

55. République du Mali. Code du mariage et de la tutelle. Loi nº62-17 AN-RM du 3 février 1962. http://www.justicemali.org/pdf/01-mariage.pdf [01.10.2007].

56. Dorothea E. Schulz, « Political Factions, Ideological Fictions: The Controversy over Family Law Reform in Democratic Mali », Islamic Law and Society 10, no. 1(2003): 132-64.

57. République du Mali. Code pénal. Loi nº61-99 AN-RM du 3 août 1961. http://www.jus-ticemali.org/pdf/11-codepenal.pdf [01.10.2007]. [End Page 169]

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