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Reviewed by:
  • Nerval: Une Poétique du deuil à l'âge romantique
  • Evelyne Ender
Wieser, Dagmar . Nerval: Une Poétique du deuil à l'âge romantique. Genève: Droz, 2004. Pp. 408. ISBN 2-600-00875-6

Aux Etats-Unis, Nerval occupe une place bien mince dans les enseignements et les colloques, à la différence de l'Europe francophone où il n'a cessé d'inspirer des travaux inventifs et approfondis – de Jean Richer, à Michel Jeanneret et Sarah Kofman, ou, plus récemment, Michel Brix, Michel Collot ou encore Gabrielle Chamarrat-Malandain (avec toutefois deux remarquables exceptions: Ross Chambers et Jonathan Strauss). Datant du milieu des années quatre-vingt, une nouvelle édition Pléiade, chronologique [End Page 340] et en trois volumes, est un jalon important de ce parcours visant à élucider l'oeuvre difficile, sinon même impossible de cet incomparable poète, conteur, dramaturge et traducteur. Toutefois, comme nous le rappelle Dagmar Wieser, c'est par fragments et sous la forme de notes griffonnées au crayon qu'Aurélia s'est constituée; de même pour "Sylvie," pièce longuement préparée, mais qu'écrira par bribes un Nerval devenu vagabond. L'œuvre nervalienne semble bien être le résultat de quelques fulgurances ou illuminations, invitant ensuite, chez l'écrivain, un patient travail de rapiècement, recomposition et collage dans l'espoir que cela se tienne et puisse rapporter. Wieser a raison, d'ailleurs, d'inviter un rapprochement avec Rimbaud, en citant en épigraphe d'un chapitre Une Saison en enfer: "Ah! je suis tellement délaissé que j'offre à n'importe quelle divine image des élans vers la perfection." Si en effet l'oeuvre de Nerval n'est rien plus ni moins que la trace de tels élans, on comprendra qu'elle reste dans les marges d'une critique américaine plus orientée, de nos jours, vers des questions historiques, culturelles ou encore postcoloniales.

Toute lecture de l'oeuvre de Nerval, et c'est bien ce qui fait la difficulté d'un tel exercice, exige une approche textuelle et la reconnaissance que tout se joue dans la "fabrique" du texte. Ceci, Wieser l'a bien vu, déclarant dans son introduction que c'est "l'essor de la fiction verbale [qui] tend à colmater, par sa force signifiante, la fracture entre un désir d'infini et la réalité finie" (15). Les pages les plus intéressantes de cette monographie érudite et ambitieuse sont alors celles où, justement, dans une deuxième partie intitulée "Le travail de la transformation," elle analyse le procès de signification à l'oeuvre dans Les Filles du feu, Les Chimères et aussi dans Aurélia. On retirera de cet examen deux aspects fondamentaux de la poétique nervalienne. D'abord, l'importance de la répétition, non seulement au niveau de constantes thématiques ou de configurations psychiques (ceci Sarah Kofman l'a déjà brillamment montré), mais aussi, plus finement, dans les reprises verbales. Wieser, de par son excellente oreille pour le texte nervalien, nous montre comment ce sont ces mêmes phrases qui reviennent, dans des contextes bien différents et porteuses d'intensités inégales, qui deviennent chant ou verbe magique. Se penchant ensuite sur le phono-texte de la langue nervalienne, elle met en évidence des schémas sonores, entre chant et babil enfantin, qui prennent la relève, sous forme sémiotique, du thème maternel qui hante les textes de Nerval. Le style poétique de Nerval se serait en outre constitué à partir d'une approche nouvelle de la langue qu'il défend en se faisant le champion de Ronsard contre Malherbe et Racine et en se mettant à l'écoute du chant populaire ou du "charme syllabique" de langues qu'il ne parle pas (voir Le Voyage en Orient 230). A l'instar de ses collègues poètes et philosophes allemands, Nerval retrouve dans la langue du peuple une "poéticité" naturelle absente du vers classique. Paradoxalement, cet avide lecteur, qui depuis ses débuts littéraires s'est identifié à Faust, se fait ainsi l'avocat et le poète d'une langue ramenée à l'oralité.

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