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P Amour, meurtre, et langage, dans l'œuvre d'Amélie Nothomb Laureline Amanieux RÉTEXTAT, L'ÉCRIVAIN-HÉROS de l'Hygiène de l'assassin, le premier roman d'Amélie Nothomb, signale un lien d'identité entre trois termes, l'écriture, le meurtre et l'amour: — Ecrivain, assassin: deux aspects d'un même métier, deux conjugaisons d'un même verbe. — Quel verbe ? — Le verbe le plus rare et le plus difficile: le verbe aimer1. Cet amour pose le problème de sa nature. Dans cette optique, il conespond à un désir de fusion absolue, mais qui passe par la destruction de l'un des deux protagonistes pour qu'un singulier recouvre toujours les deux êtres. L'écriture d'Amélie Nothomb, en accumulant paradoxalement les meurtres, refuse la mort et la séparation. C'est une aspiration à la totalité qui transparaît, et à la fusion. Le héros recourt alors au langage grâce auquel il peut de nouveau aimer et tuer. Mais qu'est-ce qui sauve de cette circularité mortifère dans les romans d'Amélie Nothomb? Quelles alternatives sont-elles proposées à l'aliénation de l'amour anthropophage? Ces questions incitent à réfléchir sur la conception du langage créateur pour l'auteur elle-même. Je me pencherai pour cette étude sur Attentat, le sixième roman de Nothomb, et Métaphysique des tubes, son neuvi ème, en insistant sur la réécriture des Evangiles dont la romancière établit à de nombreuses reprises dans son œuvre un palimpseste subversif2. Attentat, qui met en scène un personnage de christ amoureux pervers, et Métaphysique des tubes, qui décrit une héroïne rêvant de condition aussi divine qu'humaine, me permettront de tracer un chemin d'analyse: la romancière explore successivement deux conceptions de l'amour et du langage, celle d'une eucharistie perverse , puis celle d'une eucharistie triomphante3. les fonctions de l'amour anthropophage Le fantasme de l'anthropophagie consiste, selon Freud, à incorporer un objet à l'intérieur de soi, selon différents modes d'appropriation4. Dans Attentat , le héros, Épiphane, décrit comme un monstre de laideur, tombe amoureux d'une femme très belle, Ethel5. À la fin du roman, il le lui avoue par lettre, mais face à son refus, il la tue. Le meurtre réalise un acte d'appropriation sexuel, qui se confond avec un cannibalisme symbolique. Épiphane transperce les reins d'Éthel avec un diadème représentant des cornes de tau79 L'Esprit Créateur reau. L'acte se commet au cœur d'une étreinte d'adieu: «J'ouvris mes bras et les refermai sur elle» {Attentat 206). De plus, le meurtre annule toute séparation , et réalise un rêve fusionnel platonicien, celui qu'Épiphane formulait dans sa lettre d'aveu d'amour. «Si mon corps s'unissait au tien, nous ne pourrions plus jamais nous dessouder. Et c'est ce queje veux» {Attentat 191). Tuer permet de posséder pleinement l'autre, corps et âme. Le fantasme de l'anthropophagie consiste aussi à absorber les qualités de l'autre: le héros veut obtenir la beauté qui lui manque. Dans Le Banquet, Socrate donnelavéritédel'Éros:l'amourestdésiretledésirestmanque.«Sijen'avais pas été aussi hideux, je n'aurais pas éprouvé pour toi un amour si magnifique», écrit Épiphane {Attentat 189). L'absorption est un fantasme d'identification avec l'autre, conservé ainsi à l'intérieur de soi. Bien que rêvant de s'identifier à l'être aimé, ce cannibalisme amoureux renvoie à ses origines. Dans les pratiques anthropophages, manger un être humain consiste à digérer l'autre, c'est-à -dire à le transformer en sa propre substance. Ainsi, Épiphane ne va pas à la rencontre d'un autre qui puisse l'enrichir de sa différence. Il ne cherche qu'à créer du même, à confisquer l'identité de la femme aimée. «Nous sommes jumeaux, mon amour » {Attentat 191). Le double révèle alors, pour Nothomb, le désir d'ôter à l'autre tout pouvoir et toute identité. «Je lui suis devenu indispensable: elle n'est vraiment rien sans moi ... Qui...

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