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«Inventer jusqu'au délire la danse des anges» ? La sexualité dans Baise-moi de Virginie Despentes et Femme nue, femme noire de Calixthe Beyala Claudia Martinek de l'encre noire, très noire1 DEPUIS QUELQUES ANNÉES, LA PRODUCTION LITTÉRAIRE des femmes francophones2 s'immisce progressivement dans les domaines «noirs» traditionnellement réservés aux écrivains hommes: l'écriture de la violence et de la guerre. Cela est également le cas en ce qui concerne le domaine de la sexualité. Cette dernière orientation de la production littéraire féminine est controversée. Si une partie des critiques se réjouit du fait que les femmes «osent les variations sexuelles» et que, au tournant du vingt-et-unième siècle, «le sexe, le désir, la quête du plaisir et l'ivresse de la conquête ne [soient] plus des thèmes exclusivement masculins »3, d'autres condamnent cette nouvelle tendance comme de la «pornographie» ou, encore, la valorisent justement pour son soi-disant caract ère «pornographique». Ce débat sur la «pornographie» a partagé les féministes occidentales: les unes la stigmatisent comme une violence faite aux femmes, les autres y voient la possibilité d'exprimer les fantasmes féminins et de la réformer ainsi de l'intérieur4. Mais la littérature féminine francophone de ces dernières années qui évoque la sexualité sans ambages, est-elle «pornographique» ? Ferait-on mieux de parler d'«érotisme»? Entre les deux termes, la confusion règne. Pour ne prendre qu'un exemple, Le Boucher (1988) d'Alina Reyes se voit ainsi évoqué dans le contexte de l'«érotisme féminin», de la «nouvelle vague féminine érotico-pornographique» ou de la «nouvelle pornographie»5. Selon Γ Encyclopaedia Universalis, la tentative de définition de ces notions considér ées comme séparées6 ou bien intimement liées7 est : une entreprise infinie ... C'est que ces deux notions ... bougent à mesure que passent les siècles ... D'une culture à une autre ... les frontières de la pornographie sont variables... C'est un sac vide dans lequel chacun entasse ce qu'il veut ... compte tenu de sa culture, de sa classe sociale, de l'éducation qu'il a subi, de ses fantasmes8. Plutôt que de trancher entre «érotisme» et «pornographie», on se réfère donc ici à l'«écriture de la sexualité», expression neutre, il nous semble, pour évo48 Spring 2005 Martinek quer la place importante attribuée à la sexualité dans la production littéraire féminine francophone d'aujourd'hui. Quel est le véritable enjeu de ces œuvres? Que se cache-t-il derrière cette omniprésence de la sexualité? Sans prétendre proposer une réponse généralisée, nous allons essayer de répondre à cette question en étudiant deux romans publiés par deux écrivaines francophones , Baise-moi de Virginie Despentes et Femme nue, femme noire de Calixthe Beyala. Du premier regard, le rapprochement de ces deux auteures peut paraître surprenant, voire osé. L'une, Française, fait partie des jeunes écrivains baptis és la «nouvelle génération» par la critique. Elle est souvent mentionnée au côté des auteurs français «à la mode» portés aux nues ou détestés, comme Michel Houellebecq, Christine Angot, ou Frédéric Beigbeder. L'autre, d'origine camerounaise mais installée en France depuis longtemps, est une des voix les plus célèbres—et controversées—de la production littéraire africaine des deux dernières décennies9. Elle se voit généralement évoquée à côté d'autres écrivaines contemporaines d'origine africaine, comme Véronique Tadjo, Ken Bugul, ou Tanella Boni. Malgré cette séparation critique, Despentes et Beyala se retrouvent sur le terrain de l'écriture de la sexualité. En France, Despentes apparaît comme l'une des représentantes la plus en vue de cette nouvelle orientation de la litt érature féminine. Si Régine Deforges et Catherine Breillat sont présentées comme les précurseurs de ce mouvement, Jean-Jacques Pauvert situe son véritable point de départ en 1988, lors de la publication de Le Boucher...

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