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Spectacle, théâtre, texte: esquisse d'une problématique Guy Spielmann QUOIQU'ON AFFIRME VOLONTIERS que le XVIIe et le XVIIIe siècles furent en France «l'âge d'or du spectacle», c'est souvent pour restreindre cette constatation au théâtre, et tout en réprouvant les manifestations du spectaculaire, qui soit connotent la superficialité et le clinquant, soit évoquent les excès de l'absolutisme dans ce qu'on peut déjà nommer, en reprenant la formule de Debord, une «société du spectacle» 1. Il reste encore trop rare de voir aborder sans préjugé négatif la problématique du spectacle et du spectaculaire, et de l'élargir—bien au-delà du théâtre stricto sensu—à l'ensemble des formes qu'elle peut recouvrir, des fêtes de cour aux numéros de bateleurs forains, des carrousels aux exécutions, de la promenade mondaine aux entrées royales, de l'opéra à ce que Goffman appelait «la mise en scène de la vie quotidienne». Sans doute la prépondérance des études littéraires dans ce domaine explique-t-elle la tendance à ramener le spectaculaire à ses manifestations au théâtre, où il serait essentiellement un défaut. La passion du spectacle qui anima notre XVIIe siècle présente pour beaucoup l'inconvénient d'opposer un contre-exemple à la thèse d'une évolution (au sens positiviste) de la société française vers toujours plus de sobriété et de rationalité qui caractériseraient le génie du goût français à l'âge classique. Une particularité bien hexagonale consiste à attribuer le goût (néfaste) du spectacle à un premier XVIIe siècle mal dégrossi et mâtiné d'influences étrangères délétères (Italie et Espagne), qui a servi de repoussoir sous le nom de «pré-classicisme», puis de «baroque». Faut-il préciser qu'un tel parti pris fausse d'emblée une problématique restée largement en friche (ceci expliquant cela)? On contrastera d'ailleurs cet état de choses avec celui du domaine anglo-saxon, où le champ des performance studies a depuis quelques décennies déjà constitué une matrice épistémique pour la prise en compte globale des formes multiples de la spectacularité—et où, coïncidemment (ou pas), la notion de «classicisme» n'est pas opérante. Il faudrait admettre aujourd'hui que cette vision émane d'une volonté idéologique et identitaire d'affirmer la spécificité de la nation française et de son génie; comme l'écrivait à peine ironiquement François Lagarde à propos du dramaturge considéré comme classique par excellence, et donc anti-spec76 Fall 1999 Spielmann taculaire: «Racine, c'est moi ou c'est nous, c'est la France (...) c'est mon âme ou c'est aussi mon pays»2. Or, la thèse du passage de l'esthétique de la spectacularit é à celle de la textualité qui lui serait antinomique n'est soutenue par aucune coupure nette, et les limites exactes, dans le temps et dans les pratiques , de l'ontologie spectaculaire qui seule mérite le qualificatif de «baroque» restent à fixer.3 Ceux qui postulent une «évolution» s'appuient sur trois notions qui méritent aujourd'hui d'être revisitées: le spectacle, le théâtre et le texte. Leur sens a longtemps été obnubilé par divers préjugés négatifs à rencontre du spectacle , dont Pavis pouvait remarquer qu'il «prend une signification toujours péjorative, face à la profondeur et à la permanence du texte»,4 alors qu'Artaud déplorait «tout ce que cette dénomination entraîne de péjoratif, d'accessoire, d'éphémère et d'extérieur».5 Déjà , au passage du substantif à l'adjectif s'immisce une connotation négative vite devenue denotative: alors que «théâtre» renvoie descriptivement à une pratique, sans la juger, «théâtral» est défini par Furetière comme suit: «THÉÂTRAL, ale. adj. Qui appartient au théâtre. Le plus grand vice d'un poème dramatique, est de n'avoir que des passions théâtrales , qui ne sont point naturelles, qui ne se voyent que sur un théâtre». Le Robert rench...

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