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Introduction Martine Delvaux et Alexandre Dauge-Roth L'ÉCRITURE EST-ELLE APTE à traduire la souffrance? Le texte peut-il porter et transmettre une telle expérience? Quelles sont les limites de ce que peut dire le texte? Quel rôle jouent (et peuvent jouer) les métaphores et la mise en récit dans la préhension d'un événement? Quel est l'impact de la narrativisation, de la représentation, sur la mémoire collective ? Face à la Shoah, à la guerre d'Algérie, à l'épidémie du sida, au génocide rwandais, au 11 septembre, toute re-mise en scène d'un événement est-elle la bienvenue? Y a-t-il un prix à la commémoration de la douleur? Qu'est-ce qui demeure occulté ou tu pour pouvoir conférer à la douleur résonance et lisibilité? Enfin, devant des mots qui témoignent du mal, de la blessure, de la catastrophe , quel est le rôle du lecteur, et surtout celui du critique? Voilà autant de questions qui sous-tendent ce volume, la réflexion qui en a motivé la préparation. Si les dernières années ont vu l'explosion d'une réflexion sur le genre testimonial dans son rapport à l'Histoire, aux événements et à la subjectivité, le lien entre l'écriture et la souffrance n'en demeure pas moins mystérieux et contesté. L'écriture parvient-elle jamais à rendre compte de ce que le corps et la psyché, l'individu et la collectivité, ont enduré? Les lecteurs sont-ils jamais capables de s'identifier aux mots qui effleurent ainsi le réel? L'écriture peut-elle toucher la souffrance ou seulement nous toucher? Une lecture «souffrante» est-elle imaginable, ou même souhaitable? Quels sont les écueils de l'empathie, quels dangers entraînent ses excès? Comment échapper au risque d'une «bonne conscience», confort moral que crée une lecture qui par ailleurs glisse sur la peau au lieu de s'imprimer? On le sait: selon Elaine Scarry, la douleur excède le langage; elle déborde la communication et, en ce sens, elle met à mal la transmission1. Si cela est vrai, il est impossible de concevoir un véritable échange entre un auteur et des lecteurs qui jamais ne pourront partager, même par l'imagination , l'expérience racontée. C'est cette aporie que nomme Maurice Blanchot dans L'Écriture du désastre au sujet du drame que vivent les survivants de la Shoah «le vœu de tous, là -bas, le dernier vœu: sachez ce qui s'est passé, n'oubliez pas, et en même temps jamais vous ne saurez»2. Face aux multiples écritures témoignant d'une souffrance que nous ne saurons jamais étreindre ou cerner, quelle volonté de savoir nous anime dès lors et quelle écoute est requise de nous pour que ces prises de parole ne demeurent pas lettres mortes? L'Esprit Créateur Qu'il s'agisse de génocides, de guerres, de maux physiques, de troubles psychiques ou de deuils, le témoignage relate une expérience durant laquelle le sujet à la fois se construit («je souffre donc je suis» écrit Didier Anzieu3) et se défait. Subjectivation et désubjectivation, pour reprendre les termes de Giorgio Agamben dans Ce qui reste d 'Auschwitz?', voilà ce que le témoignage mettrait en œuvre. Mais qu'en est-il de ceux qui suivent: lecteurs, bien entendu, et critiques, mais aussi gouvernements qui capitalisent sur le devoir de mémoire, cinéastes et écrivains qui s'approprient des événements qu'ils n'ont pas vécus et qui occupent, plutôt que la position de témoins seconds, celle de «faux» témoins? Dans leur désir de se faire le porte-parole d'une souffrance culturellement irrecevable ou d'outre-tombe, comment auteurs, lecteurs et critiques peuvent-ils éviter l'écueil de cette imposture? Que devient alors l'histoire, la mémoire? Comme l'écrit Annette Wieviorka dans son article sur le soixantième anniversaire de la libération d'Auschwitz, l'histoire désormais se lit dans le témoignage, la souffrance, le trauma...

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