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L'Écriture lapidaire chez Francis Ponge et Roger Caillois Sourour Ben Ali Memdouh *T~^ NHN DES PIERRES TOURNÉES VERS NOUS et qui ont déclos i~H leurs paupières, des pierres qui disent OUI! Et quels signes d'intelliM agence, quels clins d'œil!»1. Des pierres qui font signes, et qui invitent tout âme avide d'énigmes et de prodiges à se laisser envoûter par leur beauté inattendue. Roger Caillois et Francis Ponge font partie de ces écrivains qui se sont laissés séduire par l'irrésistible beauté de l'univers minéral; ils ont toujours manifesté, à travers plusieurs écrits, un intérêt particulier pour le monde qui nous entoure. Leur vision singularise l'objet de leur contemplation et ne le perçoit pas uniquement dans sa fonctionnalité, mais aussi dans son inépuisable richesse. Dans Le Parti pris des choses, par exemple, le galet est choisi parce qu'il a préservé son aspect sauvage, loin de tout usage humain: «Comparé au plus petit gravier, il est la pierre encore sauvage ou du moins pas domestique. Profitons de ses vertus»2. Caillois rejoint l'entreprise pongienne lorsqu'il adresse, dans la «Dédicace» de son ouvrage Pierres, un véritable hymne aux pierres brutes: «Elles n'intéressent ni l'archéologue ni l'artiste ni le diamantaire. Elles n'attestent qu'elles. Je parle des pierres nues, fascination et gloire, où se dissimule et en même temps se livre un mystère plus lent»3. Caillois glorifie les pierres qui ne «portent aucune inscription. Sans messages ni millésimes». «Sur les pierres debout, nul symbole, même rudimentaire, n'est en général gravé, comme si elles étaient non seulement d'avant l'écriture , mais d'avant le dessin, ou comme si les ouvriers qui les ont érigées avaient choisi de n'y rien figurer» (Pierres 82). La fascination pour les minéraux et la volonté d'explorer les espaces élémentaires font l'objet d'un long cheminement qui, progressivement, fait découvrir au lecteur le jeu instauré entre le sujet-décrivant et la pierre. Ce jeu est loin d'être fortuit; la pierre est, comme la désigne Jean-Pierre Richard, «un petit territoire de sens»4. S'y révèlent, voire s'y reflètent donc les désirs et les angoisses les plus enfouis des auteurs et leur quête de l'intemporel, grâce à l'immobilité de la pierre. La pierre écrite transcrit en réalité une sorte de rêve discursif: «Le choix pour la pierre est à chaque fois une tentative de soustraire l'écriture à l'aléatoire de la communication intersubjective et de la stabiliser définitivement»5. Ponge et Caillois partagent le même «rêve de transparence »; ils pétrifient le langage, et le perçoivent dans toute sa transparence 76 Summer 2005 SouROUR Ben Ali Memdouh et dans toute sa pureté, un «langage dans sa profondeur concrète, à la fois déshabillé,dénudéetpénétré:pétri,etc.»6. "Un idéal cristallin" «J'ai toujours considéré, depuis mon enfance, que les seuls textes valables étaient ceux qui pourraient être inscrits dans la pierre: les seuls que je puisse dignement accepter de signer (ou de contresigner): ceux qui tiendraient encore comme des objets, placés parmi les objets de la nature: en plein air, au soleil, sous la pluie, dans le vent. C'est exactement le propre des inscriptions»7. Ponge considère les mots comme une réalité concrète, une inscription et une incision dans la matière; il les perçoit comme des sortes de «pierres précieuses », ou des objets agréables à regarder et à palper. Cette conception matérielle du langage relève chez lui d'une nostalgie de l'écriture lapidaire telle qu'elle a été pratiquée par les civilisations anciennes: «Les beaux textes en langue morte nous intéressent d'autant plus qu'ils n'existent pour nous que comme écriture, puisque nous ne savons du tout comment ils étaient prononc és. Parce que leur matérialité est évidente (inscriptions, gravures dans la pierre ou sur la...

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