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Fascination du minéral: la contemplation du temps Bernard Beugnot À la mémoire de Bernard Veck, en durable nostalgie DES LAPIDAIRES ANCIENS1 à la minéralogie moderne, des mines de Salomon à la géomorphologie scientifique2, tout ce qui touche au minéral, qu'il soit encore dissimulé au cœur d'une géode ou dégagé de sa gangue, brut ou serti, exerce depuis toujours sur l'œil, sur l'esprit et sur l'imaginaire, sur «le sujet transporté dans les choses»3, une fascination que la science a pu déplacer sans jamais l'abolir. Est-ce pourquoi les discours minéralogiques, dont le dessein peut être descriptif, symbolique ou spirituel, sont sans cesse habités par l'encomiastique? Est-ce pourquoi est si vif l'attrait des musées de minéraux (Ecole des mines, Université de Paris VII, Lausanne, Toronto, Washington, etc.) qui, pour présenter leurs collections d'échantillons rivalisent d'invention, véritables scénographies? Vastitude et variété caractérisent en effet l'univers minéral. Son fondement est dans les mines, monde secret de l'enfoui qui suscite la quête avaricieuse de richesses, dénoncée par les moralistes, aussi bien que !'«aventure spirituelle dont l'enjeu est la possession d'un savoir interdit»4, avatar artisanal ou industriel des descentes aux enfers d'Ulysse (Homère, Odyssée, chant XI) ou d'Énée (Virgile, Enéide, chant VI): «Nous descendons dans les entrailles de la terre et cherchons des richesses dans le séjour des Mânes» (Imus in viscera et in sede Manium opes quœrimurf. Isidore de Seville rappelle au début du livre qu'il consacre aux métaux, entreprise à la fois descriptive, classificatoire et médicale, que le terme grec metallân signifie 'rechercher'6. C'est que «le caché fascine et l'ombre irrite en nous une attente sans nom»7. A l'autre extrême de l'échelle minérale, le bijou, noces de la beauté naturelle de la gemme et de l'artifice du joaillier, retient l'écrivain aux yeux duquel l'artiste met «la main pour parfaire le vœu occulte du minéral»8 et «leur restitue leur valeur sacrée de cailloux ... La beauté sobre de ces nouvelles pierres dont nul ne saurait dire ou évaluer exactement la valeur—leurs millions d'années d'existence—quinze ou vingt paraît-il dans un autre monde—et trois ou quatre chez nous, parent d'une sorte de mystère sombre»9. Cette séduction spontanée qu'éveille la pierre brute, entendons les minéraux cristallisés tels qu'ils s'exhibent avant polissage ou découpe, tient à 10 Summer 2005 Bernard Beugnot la beauté de ses formes et de ses couleurs en même temps que sa dureté et son apparente inaltérabilité se font signes de pérennité. Pline l'Ancien déjà célèbre dans les gemmes une majestas de nature visible ou la verdoyance infinie de l'émeraude dont les yeux ne se lassent point10. Plus tardivement, Simon Majolis vante le trésor sans prix de ces miracles où scintillent (coruscare ) les forces vives de la nature11, scintillation qui fascine aussi bien Claudel en écho au Fiat lux chrétien de la Genèse («Rien qu'un éclat pour moi de cette lumière qui a créé le monde!») que le regard descriptif, sinon objectif, de Francis Ponge: «La moindre lumière aussitôt s'y sent prise et ne peut plus en sortir: alors elle crispe les poings, s'agite, scintille»12. Seulement sur l'immédiat de la sensation et sur la description qu'elle engendre viennent s'enter et s'épanouir, par le biais d'une théorie implicite des sympathies et des correspondances, ou bien une mythologie préexistante qui s'y projette ou bien des mythologies individuelles constituées de tout un éventail d'images, de libres rêveries associatives, instruments de déchiffrement des myst érieux silences du minéral: «La volonté de regarder à l'intérieur des choses décèle la faille ... par laquelle on peut violer les secrets des choses cachées»13. Sans parler des...

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