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Catherine Millet: l'archive du sexe Martine Delvaux ON PEUT EN DIRE que c'est d'un ennui mortel, tout autant que ces films qu'on loue au début de la nuit dans des chambres d'hôtel ou qu'on vient chercher en catimini dans la chambre noire située au fond du magasin de cassettes vidéo. La Vie sexuelle de Catherine M. comme un film porno: placide, clinique, technique, glacé, ce livre «poursuit son objectif à la façon d'une torpille en ligne droite» écrit Michel Crépu1. Confession pour certains, et pour d'autres, comme pour Josyane Savigneau, un livre qui recèle un «désir de témoignage, [une] volonté de rendre public l'intime, donc de le nier en même temps»2. Le livre de Catherine Millet s'offre comme une œuvre visuelle qui défile sur l'écran des pages et que les lecteurs regardent, comme l'amant qui «flait] tant parler» l'auteure pendant qu'il «fornique» avec elle et exige qu'elle lui raconte les «histoires vraies» de ses aventures sexuelles, avide de connaître les noms, les lieux, le nombre de fois3. Un livre comme un film, un enchaînement de photos pornos. «Le noyau dur, irradiant, contaminant, de toute photographie», écrit Jacques Henric dans le livre dont la publication a accompagné celle de La Vie sexuelle de Catherine M., serait pornographique. Le sexe de la femme serait l'objectif final, la perspective cachée de toute image. [...] La photographie, où qu'elle aille, d'où qu'elle revienne, de quelque côté qu'elle tourne son regard et à quelque exploration qu'elle se soit livrée, dans l'infiniment petit ou dans l'infiniment grand, est marquée par cette part qui la relie à la plus grande obscénité, et chacune de ses images a pour échelle un sexe ouvert qu'un sexe pénètre, image étalon des images du monde4. Double renvoi, ici, aux questions de l'origine et de l'archive: Légendes de Catherine M., dit le titre de cet album dont les photos correspondent à la scène décrite mille et une fois par l'écrivaine dans son récit: «un sexe ouvert qu'un sexe pénètre, image étalon des images du monde»5. Image étalon, donc, c'est- à -dire image à laquelle se mesurent toutes les autres, image originaire. L'Origine du monde. «Le Courbet, donc: pas origine du monde, simple lieu d'origine des images» (159) écrit Henric, propos qu'il redouble d'une représentation des premiers humains. Imaginant une voyeuse conduite par un photographe dans un hangar qui jouxte une gare, le photographe de Catherine M. écrit: «Elle va s'endormir jambes ouvertes, comme au premier jour. Elle rêvera? Elle rêvera qu'un homme rêve qu'il est Dieu plongeant Adam dans le 48 Fall 2004 Delvaux sommeil pour créer Eve» (33). Jambes ouvertes comme la Jo de Courbet, comme la Catherine M. de Jacques Henric: «Au moins, avec la photo, y compris celle où, comme dans le tableau de Courbet, L'Origine du monde, la vulve de la femme est au premier plan, aucune crainte à avoir: ni souffle ni respiration de ceux qui seraient passés avant» (78). Ce sexe de femme, peint par Courbet, représente pour Henric la nudité ultime, cette «vraie nudité [qui] est l'ultime vérité de la terre» (173), nudité/vérité dont il trouve aussi la preuve dans la photo pornographique où «oui est oui, non est non [...] Un cul est un cul, un con un con» (147). Nudité/vérité pornographique à laquelle La Vie sexuelle de Catherine M. a été associée, dans l'élan contemporain des critiques contre des auteures accusées de nombrilisme et dont les textes sont reçus comme une sorte d'archivé du sujet—«impression» de soi qui laisse une mauvaise impression de soi6. Et si ce n'était pas le cas? Si, sous le couvert de la mise à nu, Millet réussissait plutôt à se cacher? Mal d'archivé. Le récit de Catherine Millet provoque des réactions passionnelles de la part des critiques et des lecteurs...

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