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Nathalie Gassel: le corps et la pensée, le muscle et l'écriture Jan Baetens S EROS ANDROGYNE, JOURNAL D'UNE FEMME ATHLÉTIQUE, le début très remarqué de Nathalie Gassel est un texte qui a tout de suite prêté à de graves malentendus. Le premier tient tout bêtement à l'anecdote , telle que la révèlent à la fois le préfacier du livre, Pierre Bourgeade, et le site personnel de Nathalie Gassel elle-même (http://users.skynet.be/nathaliegassel /), Fauteure étant «à la fois adepte du body-building, championne de boxe thaïlandaise et poète»1. Elle rompt heureusement avec le stéréotype de plus en plus rigide, du moins en Europe, de l'écrivain professeur, bibliothécaire ou retraité. Ce seul fait sociologique a suscité un intérêt de curiosité dont a profité beaucoup plus l'auteure que son texte (or, visiblement c'est le texte et non la biographie qui devrait retenir l'attention des lecteurs, tellement Gassel s'efforce d'excéder le thème de la femme athlétique en effet omniprésent). Le second malentendu est plus grave, et tient à la confusion, entretenue par l'éditeur dans son texte de quatrième de couverture, entre deux genres que tout oppose, l'érotisme et la pornographie, et dont Gassel choisit très radicalement le second. Eros androgyne est en effet un texte qui prend le contrepied de la littérature dite erotique, pour se réclamer sans complexe pour ce qu'il est: non pas seulement un texte sur le désir, en l'occurrence le désir sexuel, mais un texte pornographique. La section centrale du volume s'intitule «Petits textes pornographiques», et l'auteure nous fait l'économie de toutes les considérations bavardes sur les lieux communs de l'érotisme auxquels nous ont habitués les auteurs du genre. Ces clichés, identifions-les avec Renaud Camus, qui s'en prend régulièrement à eux dans son Journal, à la question de l'interdit, de la culpabilité, de la transgression, bref du péché (même si ce mot et ce concept ont perdu beaucoup de leur mordant, comme du reste la littérature erotique tout entière)2. La pornographie en revanche est identifiée par lui à la description «blanche» (au sens où l'on parle d'écriture blanche: sans fard, de manière neutre, avec une sécheresse qui seule paraît appropriée) du sexe comme quelque chose de naturel. Que sous Ia plume de Renaud Camus, grand pourfendeur du sympa et du naturel, ce mot doive se lire dans une acception très singulière, c'est-à -dire comme l'antithèse de la surcharge culpabilisante «culturelle» que transporte le mot érotisme, ne doit pas faire écran à la netteté de l'opposition même: d'une part érotisme et culVol . XLIV, No. 3 5 L'Esprit Créateur pabilité (le grand modèle de ce type d'écriture serait, aux yeux de Camus, Bataille), d'autre part naturel et «pornographie» (le grand modèle de la période contemporaine reste ici bien entendu Tricks de Camus lui-même1, qui a lancé un «style» dont le prestige a perduré jusqu'à l'apparition d'écritures plus violentes comme celles de Guillaume Dustan). Il est clair que l'écriture de Nathalie Gassel est à mille lieues de l'érotisme . Toutefois, il n'est pas possible non plus de ranger Eros androgyne «automatiquement» parmi les textes qui s'inscrivent dans la postérité de Tricks, dont elle représenterait alors une version à la fois féminine et bisexuelle . En effet, beaucoup plus que dans le cas de Tricks, qui impose d'emblée le ton et le style d'une nouvelle approche, plus sobre en même temps que plus directe (le langage de l'érotisme dirait plus osée) de la sexualité, le texte de Gassel, tout sec et compact qu'il soit dès ses premières lignes, est davantage un texte de recherche, c'est-à -dire un texte qui se cherche. Or, ici encore, les lecteurs, masculins comme féminins, se lancent sur une mauvaise piste s'ils pensent que, se fiant par exemple...

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