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Jorge Semprún et l'imbrication des langues: L'image et l'écran MarÃ-a Angélica Semilla Duran TOUT DÉRACINEMENT LINGUISTIQUE est la conséquence d'un exil, et nous attribuons ici à ce mot son sens le plus classique: celui d'un déplacement spatial radical, non voulu et plutôt définitif, qui engendre à la fois la perte d'un univers culturel, linguistique, affectif, et la découverte d'un autre, dont les codes sont mystérieux et les clefs inconnues. Amadeo López affirme que «l'exil introduit une cassure brutale dans l'histoire de l'individu et dans son système de références.... [L'exilé] est condamné à l'errance, poursuivant la synthèse d'un ici—où il n'est pas—et d'un là -bas— où il n'est plus»1. Tout le problème est ainsi posé: le besoin vital de reconstruire un système de repères autre sans perdre celui des origines, l'urgence de trouver dans cet ici objectif et désinvesti des objets de reconnaissance et des identifications virtuelles, l'échange avec l'Autre sans réticence et sans reniement. Dans cet échange avec une altérité imprévue, fortuite ou désirée, le rang culturel et politique du pays et, donc, de la langue d'accueil est loin d'être indifférent. I! concerne, non seulement la réalité objective, mais aussi l'image préalable que le sujet a pu construire à son égard; il est en même temps le résultat d'une connaissance à vérifier et d'un imaginaire probablement délié de l'objet réel, mais profondément ancré sur le plan subjectif des attentes. La confrontation du double voyage—intérieur, extérieur—est aussi confrontation des représentations: celle que l'autre a de nous, celle que nous avons de nousm êmes, celle de l'autre que nous avons construite. La métamorphose induite par tout exil commence donc par ce miroitement d'images, où il est bien difficile de discerner les limites qui séparent le vrai du faux. Traverser le pont implique de regarder l'abîme en face, de risquer la fracture de l'être. Cc passage de l'héritage culturel d'origine—miroir intériorisé dans lequel nous nous reconnaissons—à un autre qui nous rend un reflet indéchiffrable, est le lieu d'infinies transactions, dans la mesure où il ne se fait pas sans blessure identitaire. La langue maternelle est une composante essentielle de toute représentation identitaire, puisque c'est en elle et par elle que nous pensons le monde et nous nous pensons: Cette étude montre que la forme des pensées humaines est régie par des lois structurelles qui, pour être inconscientes, n'en sont pas moins inéluctables. |...] Chaque langue est un vaste système de structures différent des autres, dans lequel il existe un ordonnancemenl culturel des formes et des IS S(IMMHR 2004 Duran catégories qui non seulement permet à l'individu de communiquer, mais également analyse le réel, remarque ou néglige des types de relations et de phénomènes, canalise son raisonnement et jalonne peu à peu le champ de conscience2. La place qui lui est accordée dans tout processus de recomposition du moi est donc cruciale. Toutes les variantes sont possibles: s'y accrocher pour éviter le naufrage, et refuser par là -même de s'accepter autre; la reléguer ou la refouler afin de rendre la «mue» moins laborieuse; osciller entre la langue maternelle et la langue d'adoption dans un va-et-vient qui intègre le double et le nourrit. De l'un à l'autre de ces choix—qu'ils soient ou non conscients— s'articule une infinité de degrés, de nuances, d'échos, d'hybridités. Le problème se pose de manière particulièrement aiguë lorsque l'exilé est un écrivain: l'arrachement géographique et culturel est aussi arrachement de soi, de sa conscience. Jorge Semprún, espagnol d'origine, fait partie de ceux qui ont choisi d'écrire dans «l'autre» langue. Mais cette affirmation n'est pas, dans...

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