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Introduction: Les écrivains étrangers d'expression française Axel Gasquet L'erudito non sa vivere; l'uomo que conosce la vita fa errori di sintassi. Roberto Calasso DANS LA PÉRIODE MODERNE et tout au long du XIXe siècle, s'est imposée l'idée selon laquelle l'État-nation prenait corps dans l'unité inébranlable d'un territoire et d'une langue. Depuis, les grands États du vieux monde et bon nombre des États du nouveau monde ont fait de ce principe un credo. Cette «vérité» est devenue aussi une évidence pour la conscience moyenne des gens. L'identité nationale se fonde donc sur une culture associée à la langue. Un certain nombre d'États n'ont pas participé—pour des raisons différentes—de cet esprit; citons notamment les États-Unis et la Conf édération Helvétique. Le premier n'a jamais cru nécessaire d'établir pour l'État une langue officielle. Le second décide d'en adopter trois. Ces modèles font figure d'exception dans le concert des nations de l'époque. Il semble aller de soi que les écrivains qui abandonnent leur langue maternelle au bénéfice d'une autre embrassent du même coup la nationalité de la langue d'adoption. Joseph Conrad ou William Henry Hudson constituent des cas typiques de cette appropriation. Or, tout au long du XXe siècle et aujourd'hui encore, beaucoup d'écrivains plurilingües mettent en question ce credo par leur pratique littéraire. Soit ils revendiquent le droit de continuer à se reconnaître dans leur nationalité d'origine , soit ils refusent de se fondre dans la masse de la langue d'adoption, réclamant la reconnaissance de leur spécificité: vivre dans cet entre-deuxlangues , à la périphérie de leur langue d'origine et en marge de leur langue d'adoption. Cela amène à s'interroger sur la pertinence du classement national par la critique littéraire et par tout le système institutionnel (bibliothèques, centres de recherches, archives, etc.). Le sujet proposé pour ce numéro de L'Esprit Créateur consacré aux écrivains plurilingües est un vaste chantier. En effet, le nombre d'écrivains en provenance d'horizons géographiques différents qui ont choisi d'écrire en français est très élevé depuis au moins le XIXe siècle. Si chaque écrivain incarne un acheminement personnel vers sa langue d'adoption, une expérience strictement singulière, on peut identifier cependant quelques éléments qui s'agVol . XLIV, No. 2 3 L'Esprit Créateur glutinent dans une expérience collective. C'est cette expérience qui nous intéresse ici: nous définissons l'écrivain plurilingüe comme l'écrivain étranger de langue d'expression française. Ceci exclut ceux qui, tout en étant étrangers, et maniant plusieurs langues depuis leur enfance parce qu'ils vivent dans une société bilingue ou plurilingüe, décident d'écrire en français. Nous voulons nous focaliser sur la "volonté" explicite chez un écrivain d'aller vers une langue autre que sa langue maternelle. Il se fait alors violence, une violence qui n'est pas celle de la colonisation, mais avant tout, la violence de vouloir apprendre une langue qui n'a jamais été la sienne. C'est pourquoi nous avons décidé d'écarter les écrivains originaires des anciennes colonies françaises (du Maghreb ou d'ailleurs)1, au bénéfice de ceux qui ont fait une démarche délibérée d'apprentissage de la langue d'écriture adoptive. Beaucoup de pays de par le monde connaissent des situations dites de bilinguisme ou de plurilinguisme avéré; ces populations ont l'habitude de jongler entre plusieurs langues qui, plus qu'en situation de concurrence, se reconnaissent dans leur complémentarit é. Cet enchevêtrement des langues (dans les cas où l'on trouve au moins une langue européenne qui s'additionne à la langue native d'origine) prend souvent racine dans des circonstances historiques coloniales. C'est notamment le cas d'un nombre important de pays africains ou asiatiques à héritage colonial. Le cheminement qui conduit un écrivain maghr...

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