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L'Intimité à l'épreuve de L'Intrus et de L'Interdite: la greffe comme (des)saisie de soi Alexandre Dauge-Roth à mon père, par deux fois touché au cœur QUOI DE PLUS INTIME que de recevoir l'organe d'un autre en soi et, à la fois, quoi de plus étranger que cette intrusion vitale. Ouvrant le corps à un régime d'étrangeté sans précédant, la greffe modifie la façon de faire corps avec soi-même. Elle déroute le toucher, altère la façon de toucher à soi ou d'être touché. Incision sans appel au cœur de l'intimité, la venue du greffon redéfinit l'évidence des seuils. Elle invite à s'appréhender contemporain d'une intrusion hors de laquelle la question même de l'intériorit é cesserait d'être. Comme le relève Jean-Luc Nancy dans le texte L'Intrus qui a pour point de départ la greffe du cœur dont il a bénéficié, l'étrangeté de l'étranger demeure et met en demeure l'hôte à réenvisager les prémisses de son hospitalité pour qu'il ne meure: L'intrus s'introduit de force, par surprise ou par ruse .... Une fois qu'il est là , s'il reste étranger, aussi longtemps qu'il le reste, au lieu de simplement se «naturaliser», sa venue ne cesse pas: il continue à venir, et elle ne cesse pas d'être à quelque égard une intrusion: c'est-à -dire d'être sans droit et sans familiarité, sans accoutumance, et au contraire d'être un dérangement, un trouble dans l'intimité'. Métonymie de l'autre, le greffon impose à l'hôte de renégocier son «propre» pour prévenir l'éventualité de tout rejet—cas de figure fatal et non promesse d'une intimité ou d'une intégrité retrouvée. L'étrangeté qu'instille la greffe n'est pas une parenthèse dans l'existence mais bien une prothèse d'existence avec laquelle il faut faire corps sans pouvoir se départir du corps à corps qu'elle exige. Mais comment envisager cet autre que l'histoire des techniques a inscrit au cœur de son histoire? Quel accueil réserver à cette interruption de l'intimité qui en diffère l'épilogue? Comment se dévisager face à cette extériorit é soudain constitutive de sa propre intériorité ? Greffé, peut-on encore signer en son seul nom propre ? Autant de questions qui signalent un rapport à soi inédit et appellent à repenser la nouvelle donne que ce don instille au cœur de notre intimité. Si le démembrement des corps et la circulation des organes troublent tant notre façon de faire corps, c'est bien parce que le corps est le théâtre où se joue la relation de l'homme au corps social. Comme l'analyse David Le Breton, «dans la relation intime à soi, ou aux proches, le corps . . . Vol. XLIV, No. 1 27 L'Esprit Créateur est la chair du rapport au monde, indiscernable de l'homme à qui il donne son visage»2. Mais voilà que pour pouvoir encore toucher à soi, dans le cas de la greffe, il faut faire le deuil d'une part de soi, se faire opérer en opérant un détour par ce qui, même greffé au cœur de notre intimité, demeure saisissement au-delà de notre saisie. Le régime d'intrusion qui permet la survie à sa propre défaillance entraîne ainsi, à son tour, une défaillance, à savoir celle de l'évidence de son «propre» corps et de l'emprise que l'on peut exercer à son endroit quand on en vient à toucher, au plus intime de soi, sa propre limite. Saisissante dessaisie ou syncope à partir de laquelle il faut se ressaisir. Envisager l'intimité à l'épreuve de L'Intrus et de L'Interdite de Malika Mokeddem signale une intertextualité plurielle. L'Intrus me permettra, dans un premier temps, d'analyser quel «jeu»—au sens où une porte a du jeu—la greffe d'un organe introduit dans l'immunité identitaire et quelle redéfinition de l'intimité ce «jeu» entraîne pour celui...

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