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Les rapports intersémiotiques dans l'iconotexte: Nadja et L'Amour fou d'André Breton1 Sébastien Côté Vision is plugged into textuality, and vice versa, in multiple ways. —Stephen Melville et Bill Readings, Vision and Textuality2 SANS PRÉSENTER LES MÊMES COMPLEXITÉS INTERSÉMIOTIQUES que les montages de Francis Picabia ou John Heartfield, Nadja et L'Amour fou d'André Breton méritent une attention particuli ère pour leur intégration des signes visuels au langage poétique. En feuilletant les deux livres sans relier les photos au contexte, on pourrait croire que texte et images s'y enchaînent simplement pour assumer ensemble la narration . Or, Nadja et L'Amour fou ne sont pas des livres illustrés comme il en existe des centaines dans la tradition3. Contrairement aux contemporains des surréalistes, nous jouissons d'un recul appréciable qui a rendu plus limpide le rôle des photos dans Nadja. Pourtant, au lieu de nous simplifier la tâche, cette connaissance complexifie l'analyse des rapports texte-photographie. En effet, nous savons que Breton tenait Yekphrasis en piètre estime: «Et les descriptions ! Rien n'est comparable au néant de celles-ci; ce n'est que superposition d'images de catalogue, l'auteur en prend de plus en plus à son aise, il saisit l'occasion de me glisser ses cartes postales, il cherche à me faire tomber d'accord avec lui sur des lieux communs»4. Par ailleurs, dans sa préface à la réédition remaniée de Nadja en 1964, Breton précise les effets esthétiques qu'il recherchait: Il peut tout spécialement en aller ainsi de Nadja, en raison d'un des deux principaux impératifs «anti-littéraires» auxquels cet ouvrage obéit: de même que l'abondante illustration photographique a pour objet d'éliminer toute description—celle-ci frappée d'inanité dans le Manifeste du surréalisme—, le ton adopté pour le récit se calque sur celui de l'observation médicale5. Cette précision quant aux visées de l'œuvre agit sur le lecteur-spectateur comme un cadeau empoisonné, c'est-à -dire qu'elle conditionne son regard en suggérant une piste d'interprétation dont il s'avère très difficile de s'écarter . Pour autoritaires qu'elles soient, ces remarques indiquent néanmoins que Breton pressentait le caractère insécable des relations texte-image dans l'iconotexte, 48 Summer 2003 Côté La photographie: quelques repères théoriques La photographie se définit généralement comme un art d'imitation, au même titre que la peinture et la sculpture, mais puisqu'elle est facilement reproductible et que son existence dépend d'une opération mécanico-chimique, nous devons la considérer comme un art d'imitation distinct. Selon Erwin Koppen, cette filiation directe entre la photographie et la technique, synonyme de la société industrielle tant décriée, a considérablement retardé l'enthousiasme des artistes à son égard. Aussi fut-elle longtemps perçue par des auteurs de la trempe de Balzac et Baudelaire comme «eine direkte Bedrohung der Kunst [une menace direct à l'art]»6. Situé quelque part entre l'artisan et l'artiste, le photographe dépend donc infiniment plus de ses outils (appareil, filtres, etc.) que le peintre de ses pinceaux et de sa toile. Bref, pour le photographe, chaque instant représente une œuvre potentielle unique, alors que le peintre peut recomposer le réel à sa guise et n'est pas contraint à l'imitation pure et simple7. Cette condamnation à l'imitation du réel a bâti un préjugé défavorable contre la photographie, comme si elle n'avait qu'une fonction documentaire. Susan Sontag écrit que «[l]a photographie a la réputation peu enviable d'être le plus réaliste et, en conséquence, le plus faible des arts d'imitation»8, avant de souligner l'apport de la photographie surréaliste à la représentation visuelle: L'acte même de la prise de vue est d'un caractère essentiellement surréaliste: il crée un double du monde existant, un modèle au...

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