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La guerre d'Algérie dans les mémoires françaises: Violence d'une mémoire de revanche Benjamin Stora AVEC LE PASSAGE DES GÉNÉRATIONS, les enfants d'immigrés s'intègrent pleinement à la société française actuelle. Et pourtant, des pans entiers de cette dernière continuent à rejeter les étrangers et les Français d'origine étrangère, comme en témoigne notamment l'audience du discours xénophobe des partis d'extrême-droite en France de Jean-Marie Le Pen et Bruno Mégret. Près de quarante ans après l'indépendance de l'Algérie en 1962, la répétition des situations vécues pendant cette histoire coloniale semble de plus en plus vécue fortement dans l'actualité, en France. Par delà le processus qui a vu la séquence guerre d'Algérie s'enraciner dans le débat franco-français (statut des anciens soldats français, révolte des enfants de harkis, demande d'indemnisations des pieds-noirs)1, c'est en fait l'ensemble du déplacement de valeurs, habitudes, sentiments élaborés au temps de la longue période de l'Algérie française (132 ans) qui doit être analysé. Dans la propagande et l'action du Front national, la filiation entre présence musulmane en France et persistance d'une mémoire coloniale, héritage d'un Sud perdu dans les guerres de décolonisation, joue un rôle décisif. La hantise du passé de l'Algérie française surgit comme la part d'ombre cruciale du mouvement d'extrême droite. Depuis plusieurs années, l'invocation des proches de la guerre d'Algérie est beaucoup plus fréquente que celle de la mémoire plus lointaine de Vichy. Ou plutôt, le ressentiment araboislamique , ajouté à la vieille obsession antisémite, donne au discours lepéniste une coloration historique forte et singulière. Dans la conception d'une «France éternelle», Jean-Marie Le Pen invente une histoire prenant ses racines dans des origines mythiques, anti-islamiques: «Nous avons pu échapper au funeste sort de l'invasion islamique. Mais ce ne fut que par le sacrifice de centaines de milliers d'Européens qui périrent les armes à la main: ils refusèrent de vivre sous le statut légal prévu par le Coran pour les infidèles, celui des dhimmis. Grâce à eux, le bronze des cloches de nos églises résonne encore à nos oreilles»2. Dans l'affirmation d'une nation prise comme une entité immuable, exaltée dans sa lutte contre un ennemi extérieur (et intérieur...), cet ennemi est d'abord l'islam, incarné par les Arabes vivant en France. Dans une brochure de formation pour les militants du Front national, l'argumentation est la suivante: «On peut affirmer la même chose avec autant Vol. XLIII, No. 1 7 L'Esprit Créateur de vigueur dans un langage posé et accepté par le grand public. De façon, certes caricaturale, au lieu de dire "Les bougnoules à Ia mer", disons: "Il faut organiser le retour chez eux des immigrés du tiers monde"»1. Les «immigrés», ce sont, avant tout, les hommes du Sud, particulièrement du Maghreb et d'Algérie. Derrière la dénonciation du «complot juif», se dessine l'obsession anti-musulmane: «La nature de l'immigration a changé. Nous assistons sur notre sol national au choc de deux cultures fondamentalement différentes. L'islam, qui représente déjà la deuxième religion de France, s'oppose à toute assimilation et menace notre propre identité, notre civilisation occidentale et chrétienne»4. Dans un meeting tenu à l'occasion des élections présidentielles de 1988, le leader de l'extrême droite s'exclame: «Nous vivants, la France ne sera jamais une république islamique !»5 Un «sudisme» à la française—Les hommes du Sud sont ceux qui portent en eux une certaine conception de l'Algérie française, soldats, pieds-noirs, officiers, anciens activistes de l'OAS. En se référant à certains traits de l'histoire américaine (l'implantation réussie de colons europ...

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