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Autofiction et autopoïétique La fictionnalisation de soi Dominique Rosse [...] un projet traditionnellement «poétique»: l'exploration de la mémoire où je déplie idées et images, saveurs, odeurs et touchers, réverbérations et sensations, jalousies, exaspérations, douleurs et joies encore si y"arrive à les dire. —Julia Kristeva, Le Temps sensible* L'AUTOBIOGRAPHIE ("bien écrite" et à condition de ne pas être naïve) et le roman à la première personne ont droit de cité dans le champ littéraire. Ce sont des genres reconnus contrairement à ce nouveau venu, pour ne pas dire ce parvenu, qu'est Γ autofiction2. Celle-ci aurait plutôt mauvais genre, comme le note Marie Darrieussecq, elle serait un «monstre littéraire» en quête de reconnaissance, puisque même la case aveugle du tableau genettien ne saurait l'accueillir. Reste à savoir si ce picaro est un bâtard ou un enfant trouvé, c'est-à -dire à définir ses relations paradoxales avec la réalité et avec la fiction. L'argument principal de Darrieussecq me paraît incontournable en ce qui a trait à une définition possible de ce genre qui n'est pas au-dessus de tout soupçon: La différence fondamentale entre l'autobiographie et l'autofiction est justement que cette dernière va volontairement assumer cette impossible réduction de l'autobiographie à l'énoncé de réalité, à l'énoncé biographique, scientifique, historique, clinique, bref: «objectif»; l'autofiction va volontairement —partant, structurellement—assumer cette impossible sincérité ou objectivité, et intégrer la part de brouillage et de fiction due en particulier à l'inconscient. L'autofiction jouera ainsi sciemment sur la ressemblance ambiguë qui existe entre l'autobiographie et le roman à la premi ère personne telle que la signale K. Hamburger. (377) Les trois mots importants, dans ce passage, sont «structurellement», «assumer» et «inconscient», qui sont liés logiquement: c'est la part d'inconscient, on pourrait dire aussi d'inconnu, du sujet de l'écriture que celui-ci doit assumer en l'inscrivant dans une structure... de fiction. L'autobiographie est un récit quasi historique3: historique en ce qu'elle procède d'une volonté de produire des énoncés de réalité, des énoncés factuels; quasi, parce que la mémoire ne produit que des documents douteux et difficilement vérifiables auprès d'autres mémoires tout aussi douteuses. Même si elle émet dans son discours des doutes sur l'authenticité de ce qu'elle raconte, même si elle parle en connaissance de cause... freudienne ou autre, et travaille son langage, comme dans ces cas limi8 Winter 2002 Dominique Rosse tes que sont les œuvres de M. Leiris ou de R. Crevel, et même si elle se déclare ouvertement fiction comme Le Miroir qui revient d'Alain Robbe-Grillet4, elle n'assume pas structurellement, c'est-à -dire par le biais d'une mise en intrigue, le recours à la fictionnalisation qui est un rapport particulier du langage au savoir (ici, de soi), une manière particulièrement oblique de traiter ce que Robbe-Grillet nomme, très justement par ailleurs, «un manque dans ma propre continuité signifiante» (41). Elle peut suppléer au manque de certitude ou à la part de fantasme qui brouille les cartes par un imaginaire déclaré mais ce langage reste fortement de l'ordre du thétique. En termes genettiens, l'engagement illocutoire y est sérieux. Dès l'orée du texte, la captatio n'est d'ailleurs pas la même, l'autofiction produit un vacillement du pacte de lecture, un indécidable , alors que l'autobiographie, même fictive (je reviendrai plus loin sur cette forme hybride à propos du jeu) appelle la croyance en s'appuyant sur une pratique instrumentaliste du langage comme communication d'un sens relevant d'une herméneutique plus ou moins complexe, certes, mais univoque, et supposant le déroulement historique préalable d'une vie (événements, actions, émotions et pensées) que le texte met en ordre pour en révéler le sens jusque là virtuel. Quant au roman à la première personne, il se déclare généralement fiction de bout en bout, jusque dans...

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