Préface

Préface Mounir Laouyen LES TRENTE DERNIÈRES ANNÉES furent sans conteste marquées par une grande vague de renouvellement du discours autobiographique . Alain Robbe-Grillet, ayant lui-même trempé sa plume dans la fontaine de Narcisse, suggère la possibilité d'introduire, parallèlement au Nouveau Roman, une Nouvelle Autobiographie. Cette dénomination s'appliquerait alors à un certain nombre de textes conçus en rupture avec l'autobiographie classique. Il est question en effet de redéfinir les frontières du genre, de reconsidérer ses présupposées et de repenser ses modalités d'expression . Pacte, récit et mode d'énonciation constituent trois dispositifs stratégiques du discours autobiographique, susceptibles de subir de manière significative toutes les tentatives de subversion que le soupçon postmoderne aura pour vocation d'introduire dans la topique du genre afin de corroder ses fondements en montrant l'épuisement de sa dynamique créatrice traditionnelle . Les tentatives de renouvellement s'expriment assez souvent en termes de déconstruction et de dépassement d'une approche conventionnelle du genre. Il s'agit d'entraîner l'écriture autobiographique dans un sens qui lui est, a priori, contraire. Dès lors, il convient de s'interroger sur les apports de ces tentatives de subversion de «l'égophore» traditionnelle. Autrement dit, dans quelle mesure les nouvelles autobiographies ont-elles contribué à un enrichissement heuristique du genre? Un trait caractéristique de l'autobiographie postmoderne, c'est l'éclatement du sujet unaire, la décomposition de l'instance indivise et individuante. La conscience ordinatrice et unifiante de l'autobiographie traditionnelle devient, sous l'emprise du soupçon, conscience déstructurée et déstructurante. Happé par la postmodernité, le moi est devenu une substance amorphe, une structure ouverte et indéterminé. A ce propos, Olivier Sécardin montre que la quête autobiographique de Madonna débouche paradoxalement sur une identit é vacante, sur un degré zéro de l'égoïté. La célèbre chanteuse expérimente une quête du Moi dans Faltérité. Son identité, jamais réellement disponible, «doit traverser le devenir des personnages». Madonna ne se veut elle-même qu'à travers une série de rôles qui lui échappent. Ne laissant au sujet autobiographique d'autre perspective que celle d'un changement continuel d'identit é, elle souscrit à une identité qui n'est jamais définitivement acquise. Au lieu d'accuser un parcours unitaire où s'élabore l'identité du sujet écrivant, la Nouvelle Autobiographie apparaît au contraire le lieu où le sujet se perd et se Vol. XLII, No. 4 3 L'Esprit Créateur dissout dans la multiplicité. Tout se passe comme si le nouvel autobiographe devait souscrire à une réversibilité ontologique entre le Moi et l'Autre, voire à une shifiérisation du sujet. La poétique de Γ autofiction, comme le suggère Dominique Rosse, repose sur une identité non assignable et un centre indétermin é. Tout se passe comme si le nom propre avait perdu sa fonction d'ancrage . L'autofiction révèle la nature aléatoire du sujet qui, plongé dans l'ère du soupçon, se trouve dans l'incapacité de spécifier son rapport avec un monde devenu insaisissable. Il y a insuffisance du regard, opacité du monde, multiplicité et polyvalence des signes. David J. Bond présente Vies minuscules de Michon comme un texte marqué par l'impuissance du sujet écrivant. Olivier Sécardin montre que l'autobiographie postmoderne est marquée par un évidement du contenu référentiel, qu'elle constitue un «espace de désaffection du sujet, de l'objet et de l'auteur». On a l'impression que le réfèrent est définitivement brisé, que l'autobiographie est devenue curieusement autotélique, que le signe ne fait plus signe qu'à lui-même et que le texte est condamné à l'ostentation de sa fonction signifiante, à une perpétuelle refonte de sa propre facture. La prédilection de certains nouveaux autobiographes pour Γ autofiction s'explique en partie par l'érosion du nom propre qui cesse d'imprimer sa marque décisive à l'écriture autobiographique. Le vacillement du nom propre se traduit par l...