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Le poème en prose comme symptôme de crise littéraire: hétérogénéité et déconstruction dans "Le Spleen de Paris" de Baudelaire David Scott LE POÈME EN PROSE, s'il n'a pas, comme l'écriture, toujours déjà existé, est né en France au dix-huitième siècle à un moment où les transformations et les insertions culturelles qui allaient fonder la modernité commençaient à se manifester d'une manière générale dans la pratique des lettres1. A un moment où, suivant la "querelle des Anciens et des Modernes", l'autorité des textes classiques—dans leurs formes et dans leurs genres—devenait de plus en plus contestée, la sagesse et les mythes de l'Antiquit é, qui avaient été, depuis la Renaissance, souvent cités ou absorbés dans les textes en langue française, commençaient à être transformés d'une manière plus intégrale et radicale. Le Télémaque (1699) de Fénelon, par exemple, est la transformation d'un mythe classique en prose moderne, et Les Rêveries du promeneur solitaire de Rousseau (1782) constituent une des premi ères tentatives modernes de convertir l'essai en une forme d'improvisation discursive plus libre et personnelle. Mais plus radicale encore que la métamorphose d'oeuvres ou de thèmes classiques en formes nouvelles fut la transformation effectuée par la traduction en français2 de textes modernes étrangers. Car la traduction en français des pièces de Shakespeare ou des œuvres (fictives) d'Ossian posaient des problèmes de production et de réception qui eurent des répercussions profondes dans le développement d'une conception moderne de ce que serait non seulement la littérature mais aussi l'écriture en général. C'était cette nouvelle conscience du rôle toujours plus ou moins présent de la transformation, de la traduction ou de l'insertion (citationnelle, épigraphique ou autre)3 dans la construction des textes qui menaient certains écrivains français de la seconde moitié du 18e siècle (Diderot et Rousseau étaient parmi les premiers) à réfléchir plus longuement sur la nature de l'écriture , et à commencer à contester le concept de l'unité ou de l'homogénéité— linguistique, stylistique, générique et structurale—de l'œuvre littéraire. Cette contestation coïncidait avec de nouvelles expériences littéraires, qui rétrospectivement recevraient l'appelation "prose poétique" ou "poème en prose", dont les racines dans la traduction ou autres transformations textuelles marqueraient profondément le nouveau genre. Car le poème en prose, qui justeVol . XXXIX, No. 1 5 L'Esprit Créateur ment se définit en tant que genre comme constitutivement hétérogène, se construit sur la problématisation—formelle et thématique—de ses antécédents. Il intègre donc, dès le début, une certaine volonté déconstructrice4 qui, devenue consciente au 19e siècle, posa un défi à la fois à la littérature et à la critique. Focalisant surtout sur Le Spleen de Paris de Baudelaire, cet essai interrogera la nature de cette hétérogénéité et ses tendances déconstructrices au cours du 19e siècle, ainsi que la crise—culturelle et littéraire—dont elle constitue un symptôme. L'essai étant un texte essentiellement discursif, son point de départ est souvent une citation d'un auteur classique ou une allusion à une autorité antique. Ainsi Rousseau commence la troisième Promenade des Rêveries du promeneur solitaire par la citation suivante: "Je deviens vieux en apprenant toujours" suivie par la remarque "Solon répétait souvent ce vers dans sa vieillesse "5. A la différence de l'essai classique, cependant, dont la structure, quoique profondément modifiée, est toujours plus ou moins retenue dans les Rêveries de Rousseau, dans les poèmes en prose de style discursif de Baudelaire ou de Rimbaud, l'argument ou le thème le plus souvent se transforme en improvisation méditative terminée par une explosion lyrique. A la fin de sa Troisième Promenade, Rousseau, malgré le soubresauts subis à l'int...

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