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Comme un coup de gong qui résonne encore... Régis Gayraud S'IL S'AGISSAIT DE TROUVER UN COMMUN DENOMINATEUR à la création russe des quatre-vingt-dix dernières années, s'il s'agissait de définir ce qui unit l'explosion picturale qui a ouvert ce siècle et les essais des jeunes poètes "conceptualistes" qui le closent, le soleil froid et ironique des vers de Brodsky et l'éclat métallique des musiques de Mossolov ou de Roslavets, s'il s'agissait de débusquer ce repère (repaire) fantasmatique où se cacherait Yanimus insufflant l'art russe de cette époque, c'est peut-être une distance en permanence maintenue par rapport à la logique du réel qu'on finirait par percevoir au cœur de ce faisceau de lignes divergentes. Banal constat d'un état voisin de celui connu sur d'autres terres, mais qui, en Russie, atteint une dimension considérable. La flamme vive de l'alogisme, de l'irrationalit é codifiée, légitimée et somme toute rationalisée, dont on pourrait peut- être un peu trop rapidement chercher l'origine dans une tendance lourde du génie russe à l'irrationnel-mais qui, pour ce qui est du domaine artistique, au XXe siècle, est assurément le résultat du conflit mené par les penseurs spiritualistes et la génération symboliste contre le réalisme académique de leurs prédécesseurs-trouvé en Russie des vents favorables mais s'y heurte aussi aux plus violents, aux plus cruels contre-feux: c'est ainsi que l'académisme le plus ranci, sous le masque faussement modeste et raisonnable du "réalisme socialiste ", oppose-y compris par la liquidation physique-sa déraison fondamentale à la déraison volontaire de l'alogisme, du transrationnel, de l'absurdisme... Au cœur de cette lame de fond, "l'étrange accident survenu à la parole poétique dans la littérature russe au début du XXe siècle et qui a nom zaumnaja rec', zaumnyj jazyk ou simplement zaum'", comme l'écrit Jean-Claude Lanne1, occupe une position eminente. Comme d'un coup de gong qui résonne encore, son influence se diffuse de manière capillaire à l'ensemble des phénomènes poétiques de quelque importance. Refoulé pendant six décennies d'obscurantisme officiel où le terme de pompier n'a jamais paru si juste, l'incendie zaum' n'a pas cessé de couver et désormais, un mouvement similaire à celui qui a fait redécouvrir le dadaïsme dans les années soixantedix se produit en Russie, englobant dans un même intérêt la zaum' par ellem ême et les mouvements d'avant-garde qui en sont partiellement issus, comme celui des Obériouty dans les années trente. Par ses caractéristiques à la fois quantitative (par le nombre des livres puVol . XXXVIII, No. 4 17 L'Esprit Créateur blies, des auteurs qui y ont adhéré) et qualitative (celle des œuvres et de l'appareil théorique qui l'a entouré), la zaum'2 est certainement, de toutes les tentatives voisines de "poésie abstraite", "sans sens", etc., une des plus importantes -sinon la plus importante. C'est en tout cas certainement une des plus riches en différentes variantes—garanties par le nombre même des poètes de premier plan qui y ont participé—et sans aucun doute celle qui s'est ancrée le plus profondément dans l'imaginaire collectif du pays auquel elle est attachée. Si l'on s'attache non seulement aux textes "ζαι/m'iens", mais aussi aux justifications théoriques de leurs auteurs, on mesure l'ampleur de cette tendance et l'on peut dresser un tableau assez cohérent du fait zaum', depuis ses sources jusqu'à ses prolongements, prenant en compte les différentes formes de celle-ci. Apparue en 1912 avec le recueil au titre bien significatif de Mondarebours , la zaum' est inséparable de cette crise d'un monde qui est une crise de la raison—crise du sens et crise du logos—déjà portée par lé symbolisme et à laquelle, pour les boudetliané (futuriens...

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