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Avant-propos DANS LE CHAMP LITTÉRAIRE EUROPEEN des deux dernières décennies, se produit un phénomène assez constant pour attirer l'attention : l'émergence de récits, essais-fictions, proses poétiques, ancrés dans le monde rural et la province, selon les particularités géopolitiques propres à chaque pays. La première tentation serait de rattacher ces écritures aux mouvements régionalistes qui se sont développés, en France en particulier, depuis le lQème siècle, et qu'Anne-Marie Thiesse a très bien analysés dans son ouvrage: Écrire la France1. Toutefois, parmi les auteurs que nous étudions ici, il n'est ni Félibre militant, ni ardent partisan du «retour à la terre»; pas même, pour ce qui est des auteurs français, un émule d'une certaine «école de Brive» à laquelle appartiennent des écrivains comme Signol, Michelet, Tillinac, Peyramaure... et que Sjef Houppermans égratigne en ces termes: «Cette production purement commerciale profite largement du vent néo-libéral pour déverser sur le public une fiction romanesque de la "France profonde" avec ses petites joies de verdure et ses petites misères de purin2». Pas davantage d'enfermement pétainiste dans le «canton»: tous se situent au contraire dans une dialectique du minuscule et du majuscule, du local—le lopin de terre originel—et de l'universel auquel leur parcours personnel les conduit. Ils interrogent dès lors à partir de cette dualité première le monde présent et à venir. Pour mieux comprendre l'émergence de ces écritures, il faut d'abord les replacer dans le contexte littéraire des années 80, que l'on parle comme certains de «postmodernité», ou de «nouvelle fiction». Dans le double volume consacré aux Écritures contemporaines, Dominique Viart dresse les États du roman contemporain et met en évidence le mouvement très large de «réhistoricisation » de notre culture depuis une trentaine d'années. Il en résulte deux phénomènes à mettre en relation avec les œuvres que nous étudions. D'abord la vogue du roman historique, consacré à la vie des humbles et dont un des premiers succès de librairie fut Le Cheval d'orgueil de Pierre-Jakez Hélias: récit de vie d'un instituteur breton qui était paru dans la collection «Terres humaines» chez Pion, roman orienté vers les préoccupations sociologiques en vogue. Les œuvres de Pierre Michon, Richard Millet ou Pierre Bergounioux ont pu être admises par un grand public parce qu'elles ont dans un premier temps semblé appartenir à cette veine: préoccupation de donner voix à ceux qui n'avaient pas eu les moyens de raconter leur histoire, aux «minuscules» que Vol. XLU, No. 2 3 L'Esprit Créateur «personne n'avait jusqu'alors songé à peindre» (Pierre Bergounioux), mais aussi rendre témoignage d'une civilisation en train de disparaître. La «réhistoricisation» s'accompagne, sur le plan plus individuel, d'un retour à l'autobiographie, ou auto-fiction, marquant le retour du sujet dans l'écriture, contre les effets du «textualisme» qui jette ses derniers feux au début des années 803. Œuvres du «regard amont» selon la formule de Dominique Viart (op. cit. I, 21), ces textes interrogent le passé familial, les «traces laissées dans l'histoire par les destinées individuelles» (ibid., 23). Dans la mesure où une grande partie de l'Europe méridionale du début du siècle était rurale, il paraît légitime, voire inévitable, que cette enquête sur les origines, ce «regard amont» se tourne vers la terre, ou du moins la province. Si les écrivains concernés par cette étude—presque tous nés après la seconde guerre mondiale—ont choisi d'être citadins, et pour la plupart des auteurs français, de vivre à Paris, ils exhument tous quelque province originelle où fixer leurs racines: la Creuse de Pierre Michon, la Corrèze de Pierre Bergounioux et Richard Millet4, la Vendée de François Bon5, la Bretagne de Jean Rouaud6, l'Aubrac de Patrick Mialon; mais aussi hors du Pentagone, Γ Allgaii de Gerhard Köpf, l'Arnhem de Van Zomeren, et la Frioul-Vén...

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