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De Ville cruelle de Mongo Beti à Texaco de Patrick Chamoiseau: Fortification, ethnicité et globalisation dans la ville postcoloniale Cilas Kemedjio Qu'est-ce qu'une ville? Ce n'est pas un ensemble de maisons de paille ou de terre, de marchés sur lesquels on vend du riz, du mil, des calebasses, du poisson ou des objets manufacturés, de mosquées où l'on se prosterne, de temples où l'on répand le sang des victimes. C'est un assemblage de souvenirs intimes, différents pour chaque être, ce qui fait qu'aucune ville ne ressemble à une autre et n'a d'identité véritable. (Condé, SégouY La ville se moque des croyances ancestrales, c'est dommage. (Beti, Branle-bas en noir et blanc)1 DANS VILLE CRUELLE (1954) Mongo Beti (Eza Boto) a fourni avec la description de Tanga un paradigme exemplaire de l'inscription de la ville comme métaphore de la situation coloniale. Tanga Sud, la ville européenne, et Tanga Nord, la ville indigène, dominent cet espace fortement polarisé: Le Tanga commercial se terminait au sommet de la colline par un pâté de bâtiments administratifs , trop blancs, trop indiscrets. Leur vue laissait, on ne sait pourquoi, un irréductible sentiment de désolation. L'autre Tanga, le Tanga sans spécialité, le Tanga auquel les bâtiments administratifs tournaient le dos—par une erreur d'appréciation probablement—le Tanga indigène, le Tanga des cases, occupait le versant nord peu incliné, étendu en éventail. Ce Tanga se subdivisait en innombrables petits quartiers qui, tous, portaient un nom évocateur. Une série de bas-fonds, en réalité! ... Deux Tanga... deux mondes... deux destins3. La dichotomie spatiale et sociale de la ville coloniale, accentuée par la puissance évocatrice des trois courtes phrases de Mongo Beti, a depuis lors informé tout regard que je pose sur la ville (post)coloniale. Tanga a déterminé ma lecture de la "rue-paille" dans le Cahier d'un retour au pays natal de Césaire, de La Vie scélérate de Maryse Condé, mais surtout de Texaco de Patrick Chamoiseau4 . De toutes ces lectures, il est apparu que le projet colonial est un projet urbain. Dans l'Europe médiévale, la ville incarne le rêve de libération, la possibilit é d'une rupture d'avec les identités tribales et l'émergence de nouvelles communautés porteuses de nouvelles identités5. La ville postcoloniale, quant à elle, est initialement porteuse du rêve d'oppression et d'exploitation comme le 136 Fall 2001 Kemedjio souligne Maryse Condé dans Ségou: "Tu es un Bambara. Un jour, tu viendras à Ségou. Tu n'as jamais vu de ville comme celle-là . Les villes par ici sont des créations des Blancs. Elles sont nées du trafic de la chair des hommes" (Ségou I, 285). L'intention d'humanité et de liberté ne vient qu'après coup. La ville impossible qui se dessine dans le projet colonial anticipe et explique les promesses non matérialisées de modernité qui ont pour théâtre la ville postcoloniale . La ville impossible est matérialisée dans une fortification des barri ères raciales, ethniques et sociales qui empêchent les différentes composantes du paysage urbain de réaliser le rêve de la ville. L'impossibilité du rêve de la ville se lit aussi dans la fortification théorique, autrement dit la reproduction non critique des perceptions occidentales de la ville postcoloniale que l'on rencontre dans l'œuvre de Mongo Beti: c'est le syndrome de la citadelle. Glissant fait remarquer que l'une des mutations les plus significatives enregistrées dans le roman des Amériques est le passage du roman de la campagne au roman de la ville, de Gouverneurs de la rosée de Jacques Roumain à Texaco. Texaco, tout en se situant dans le paradigme inauguré par Tanga, inscrit la ville postcoloniale dans un réseau de mutations architecturales, culturelles et historiques, dans l'histoire de la Martinique, dans l'histoire des luttes des "peuples de la face cachée de la terre"6 pour leur émancipation...

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