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De Massalia à la Planète Mars: Métissage ou "fréquentage" Mireille Rosello Il y a deux mille six cents ans, des navigateurs grecs venus de Phocée—aujourd'hui Foça, sur le littoral turc—abordèrent dans la crique occupée de nos jours par le Vieux-Port de Marseille. Un de ces marins épousa une fille du chef celto-ligure local. De cette union naquirent des enfants gréco-gaullois mais aussi Massalia, alias Marseille. La cité phocéenne, plus ancienne ville française, fête donc, en 1999, cet anniversaire...1 AINSI LE JOURNAL LE MONDE annonçait-il "La Massalia", une longue soirée de fête qui devait avoir lieu le dix-neuf juin 1999 autour du Vieux-Port et de la Canebière. Préparée de longue date par des milliers de bénévoles, d'enfants et d'artistes, des dizaines de corps de métier, "La Massalia" avait pour but de symboliser, en une journée à la fois multiple et unique, l'anniversaire de Ia "plus ancienne ville française" (Peroncel -Hugoz 28). Et pour accréditer le mythe de cette origine, la cérémonie commençait par une parade navale censée reconstituer l'arrivée de Protis, Ie navigateur phocéen, dans la baie de Marseille. Mais comme une reconstitution préparée dans un contexte policier, celleci tenait autant de la recherche de la vérité que de la révélation de faits incontestables qu'il aurait suffi de dégager un peu de leur gangue d'oubli. Et la quête devait nous en apprendre autant sur le présent Marseillais (plus ou moins nôtre selon que l'on est de Marseille, de France ou d'ailleurs) que sur cette vérité dite historique, à laquelle on demande désormais d'expliquer le vingt-et-unième siècle. Comme tout récit sur une ville, et à plus forte raison comme tout mythe d'origine, l'histoire de la fondation de Marseille doit donc répondre à un double impératif: celui de passer pour immuable, indiscutable et celui d'être suffisamment souple pour être, justement, discutée, interprétée. Paradoxalement soudées, apparemment incompatibles, les caractéristiques de cette histoire tirent à hue et à dia, l'une vers le discours figé, répétitif, l'autre vers la prolifération de récits et de sens. Mais les deux aspects du mythe travaillent néanmoins dans la même direction dans la mesure où ils servent à conférer à la ville un type bien précis de bénéfices symboliques. Immuable sera la date, le point de départ. Remonter à une origine de la ville revient à faire le même pari que les explorateurs d'un autre siècle qui cherchaient la source d'un fleuve: lorsqu'on va à la rencontre d'un point zéro, 24 Fall 2001 Rosello on tient à n'obtenir qu'un seul récit racontable plutôt qu'un enchevêtrement de petits ruisseaux, un système chaotique dont on oublie régulièrement et collectivement les mille détails gais ou tragiques, pratiques ou poétiques. La métaphore fluviale n'est d'ailleurs pas très heureuse puisqu'en général, l'image d'une "naissance" marseillaise s'impose, comme si nul explorateur de la mémoire, historien collecteur d'histoires, n'était nécessaire au phénomène, comme s'il s'agissait simplement d'inscrire un nouvel être sur des registres d'état civil: "De cette union acquirent des enfants gréco-gaullois mais aussi Massalia, alias Marseille" (Peroncel-Hugoz 28). Dire que Marseille est "née" il y a 2600 ans revient donc à privilégier officiellement un des moments fondateurs qui affirme, sans y toucher, qu'aucune ville digne de ce nom n'a existé avant la date en question. C'est un parti pris officiel, performatif. Le sens commun individuel (qui certes n'est pas plus fiable que d'autres formes de pensée mais qui est justement celui qui accrédite les récits communautaires) aurait au contraire tendance à présupposer qu'une ville se crée dans la durée...

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