In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Le mythe de l'original: La main de Flaubert Daniel Desormeaux Ce que je recherchais, c'étaient les manuscrits originaux ou les projets de poèmes ou de compositions , parce que le problème de la genèse d'une œuvre d'art sur son aspect biographique aussi bien que psychologique me préoccupait plus que tout le reste. Cette mystérieuse seconde de passage , quand un vers, une mélodie surgie de l'invisible, de Ia vision et de l'intuition d'un génie aborde le monde des réalités terrestres pour la fixation graphique, où peut-elle être surprise et observée, sinon dans les brouillons des maîtres, dans ces manuscrits primitifs nés dans la lutte ou le feu de l'inspiration, comme dans un état de transe? Je n'ai sous les yeux que son œuvre achevée quand je souscris à la parole de Goethe, que pour comprendre pleinement les grandes créations, il ne suffit pas de les voir dans leur état d'achèvement, mais il faut les avoir surprises dans leurs générations.1 AINSI S'EXPRIME NON UN AFFIDÉ DE LA CRITIQUE GÉNÉTIQUE mais un chasseur d'autographes, Stefan Zweig, sur la nature et l'enfantement des œuvres littéraires. Le lecteur en saisit immédiatement le sens du verdict esthétique. Devant une œuvre, seule compte la «main» de l'auteur, symbole souverain de l'acte créateur. La hantise de la genèse a cela de pervers qu'elle hisse l'idée du brouillon soit à un degré d'abstraction indépassable, soit qu'elle nie l'importance du livre manuscrit, à plus forte raison du livre imprimé. Un roman de cape et d'épée assez cocasse de Michel Zévaco raconte avec alacrité l'étrange malaise du cardinal de Richelieu qui, pour récupérer une compromettante lettre, entreprend une cavalcade acharnée contre quelques chevaliers, quand l'un d'eux, pris au pied du mur, fait voltiger pêle-mêle quantité de copies conformes de l'originale en poussant la bravade jusqu'à glisser l'originale en question. Et l'épisode finit par montrer comment le prudent ministre, qui est incapable de savoir si la lettre originale fait vraiment partie des copies détruites devant lui, se voit obligé de battre la chamade. Ce n'est pas seulement aux yeux troublés du politique qu'un document autographe prend la valeur de quelque chose d'aussi superstitieux, d'indestructible , d'unique et de vital à la fois. Une situation tout aussi saugrenue nous est contée dans Btbliomanie, une courte nouvelle de jeunesse de Flaubert. L'auteur raconte l'histoire d'un ancien moine, libraire de Barcelone, qui se voit accusé du meurtre d'un rival parce que la police a retrouvé dans sa bibliothèque «le premier livre imprimé en Espagne», Le Mystère de saint Michel, dont le seul exemplaire connu dans tout le pays appartenait au rival assassiné. L'accusé, qui est plus préoccupé de préserver un certain principe 40 Summer 2001 Desormeaux d'unicité propre à la bibliomanie, préfère mourir à la fin plutôt que de laisser son avocat prouver devant le tribunal que l'exemplaire retrouvé chez lui n'était pas unique en Espagne. Il détruira le second exemplaire en question pour que l'original continue à demeurer l'unique en son genre. Cette affaire du double involontaire nous intéresse ici pour deux raisons distinctes: d'une part elle nous permet de saisir dans la fiction de Haubert une des facettes de l'histoire de la bibliomanie dont l'objet est fondé sur une sorte de valorisation ambiguë de l'unique comme une sorte de retour à l'original, d'autant que Flaubert, qui en était à son premier coup d'essai, n'a pas fait que reprendre une vieille légende tirée de la Gazette des Tribunaux, mais que, sans le savoir, il met en évidence mieux que quiconque les conditions d'émergence et de valorisation d'une écriture privée (le brouillon) dont les modalités nous semblent repérables dans l'objet de la bibliophilie (le livre/manuscrit rare et précieux...

pdf

Share