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Images et rapport de places dans le discours épistolaire de Madame du Deffand et Madame Riccoboni Jürgen Siess COMMENT, DANS LA CORRESPONDANCE amoureuse, une relation "s'invente"-t-elle dans et par le discours? En m'aidant des premiers acquis d'une "pragmatique" de la lettre, j'examinerai cette question dans une correspondance réelle, les lettres de la marquise du Deffand , et dans une correspondance fictionnelle de Marie-Jeanne Riccoboni. Le discours épistolaire est envisagé dans ses dimensions d'interlocution et d'interaction : il constitue un échange qui se déploie à partir d'une distribution des places dérivée de modèles génériques, eux-mêmes en prise sur les codes de comportement en cours dans la société de l'époque. Un ensemble de prescriptions et de proscriptions déterminent au XVIIIe siècle les possibilités offertes aux correspondants des deux sexes, les limites et les interdits qui leur sont assignées. La lettre d'amour permet un jeu d'influences réciproques entre des partenaires dont chacun se définit par son sexe, son âge, son statut social, son degré de culture. Elle établit un "lien" entre eux qui, loin d'être seulement affectif, personnel, spontané, s'indexe sur des modèles culturels et met enjeu des relations de pouvoir. Ce sont les places assignées à chacun des partenaires par la situation de départ qui se trouvent reprises, infléchies et renégociées dans l'interaction. Elles peuvent être modifiées, voire interchangées par l'écriture épistolaire qui réalise des transformations d'autant plus importantes, que le locuteur parvient à réutiliser de façon inventive les canevas et à jouer des codes en vigueur. Selon quelles modalités les places s'inscrivent-elles dans un canevas choisi par l'épistolière, dans le cas de Mme du Deffand et de Mistriss Fanni Butlerd] Comment le discours épistolaire, réel ou fictionnel, permet-il une renégociation des places au gré de "stratégies" qui entraînent une variation des images structurant la relation amoureuse? La question de savoir si la correspondance authentique, limitée à un seul destinataire, et le discours fictionnel , qui construit un destinataire au moins double (l'amant et le public diff éré), contiennent les mêmes potentialités sera examinée à la lumière d'une confrontation des deux textes. Le discours épistolaire se caractérise par un "rapport de places", de positions qui, dans une certaine mesure du moins, sont susceptibles d'être modi38 Winter 2000 SlESS fiées, inversées, revendiquées par l'autre. J'emprunte l'expression à François Flahault qui remarque: "nous ne pouvons manier à notre guise ce rapport de places puisqu'au contraire c'est lui qui nous tient"1. L'interaction épistolaire apparaît comme un échange où, à tour de rôle, deux (ou plusieurs) participants créent une relation active qui a sa dynamique propre. Celle-ci s'explique en particulier par le caractère différé de l'échange: les partenaires sont séparés dans l'espace et dans le temps. Dans ce cadre, l'interaction épistolaire peut être conçue comme un ensemble d'actes qui se répondent ou s'opposent dans une succession donnée et suivant une certaine logique. Le locuteur prétend à une liberté et une possibilité d'action par rapport à laquelle Vallocutaire est invité à se situer. Le Je imagine le Vous et lui propose une mise en scène. Ce destinataire est appelé à devenir locuteur à son tour: aussi doit-on supposer chez lui la même prétention. Le Je qui s'arroge une autonomie dépend du Vous qui est sollicité comme interlocuteur. Il doit prendre en considération les réactions et attentes prévisibles de son partenaire s'il veut que sa proposition puisse produire l'effet escompté. Vue du locuteur, la difficulté consiste à trouver l'équilibre entre son propre but et la disposition du destinataire à entrer dans son projet ou à s'y associer. Pour confirmer le fait que ces éléments sont constitutifs de la lettre, je rappellerai brièvement quelques-uns des arguments mis en valeur par les recherches en analyse du discours ou de...

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