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La vieille femme et la guerre: Rachilde face au désordre Alain Montandon RACHILDE A PARFOIS ÉVOQUÉ la guerre dans son œuvre romanesque. Avec Le Grand Soigneur, on voit comment la guerre de 1914 a pu créer un homme «né de l'écume rouge de la guerre»1 et M. Yves de Pontcroix, personnage inquiétant2, un revenant3 qui «aime le rouge» et qui a perdu toute sensibilité par le fait d'avoir brassé «les œuvres de guerre, là -bas, dans la grande cuve où bouillonnent toutes les chairs pantelantes des plus nobles humanités» (255) est un monstre envers les femmes. La vision du néant, d'un vide blafard devant tout ce qui a été rasé par la guerre fait l'objet d'une description hallucinante dans Madame de Lydone, assassin'. Avec Le Cheval qui rêve, la guerre est dépeinte à travers l'expérience d'un animal. D'autres exemples pourraient être cités d'une œuvre qui n'est pas sans témoigner d'un certain goût pour le sang, la mort et leurs voluptés. Nous voulons ici nous limiter à deux textes, séparés de plus de vingt ans, dans lesquels Rachilde nous présente la guerre vue par une femme, un personnage de fiction d'abord, et elle-même ensuite. Écrite à la première personne, la petite nouvelle «Vieille France», publiée ensuite dans La Découverte de l'Amérique en 1919, laisse la parole à une vieille femme qui fait l'expérience de la guerre. En dehors de ce qu'elle appelle son «égoïsme», cette pauvre vieille est l'image de la vie limitée d'une provinciale dont l'horizon, en raison de son sexe, de son âge, de sa pauvreté, de son milieu, est des plus singulièrement limité. Sans doute Rachilde fait-elle le portrait pitoyable d'un membre de son sexe, le «sexe faible» et sa critique est virulente, satirique, même si l'auteur se défend d'être féministe. Ce bref récit commence par une adresse polie à «Monsieur le Docteur» et consiste en une confession sur la petitesse de vue et du milieu dans laquelle végète une vieille femme qui ne sort que rarement de sa maison et encore moins de la petite ville qu'elle habite, et qu'elle trouve bien grande lorsqu'elle doit rendre des visites de politesse le jour de l'an. La vieille demoiselle, jamais mariée, a le sentiment d'être recluse hors du monde, de ne rien entendre , de ne rien vouloir entendre «du monde moderne». Le docteur l'a-t-il traitée de folle? Elle explique alors sa vie et le bouleversement terrible que la guerre vint apporter à son existence douce et retirée. Son monde est signifié par la clôture; les volets de sa maison sont soigneusement clos, pour ne laisser Vol. XL, No. 2 15 L'Esprit Créateur entrer que l'air nécessaire au ménage. Dans cette petite rue retirée où pousse l'herbe entre les pavés, «une rue douce aux pieds comme du velours» elle mène une vie sans histoire avec Julie, sa bonne, dont elle ne manque pas de critiquer les goûts: elle boit son café trop sucré, ne met pas assez de jus sur le poulet qui rôtit. Le temps ne semble guère modifier cette vie immobile, que ce soit dans la maison ou dans la cour fermée où l'arbre planté par le grandp ère «a l'air d'un pot»: «pas de vent, pas de bruit, pas trop de soleil». Vie en retrait du monde, loin de toute agression (le sécateur avec lequel elle taille pendant des heures ses fuchsias lui semble une arme dangereuse!). Calfeutrée l'hiver, subsistant avec des provisions: «c'est le paradis». La vieille fille, en dépit d'une bonne santé, d'une dévotion modérée, d'une vue excellente, est devenue sourde, signe de l'âge et symbole même de cette claustration qui l'a coupée du monde et de la société. De cœur fragile...

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