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Allaitement et contamination: Naissance de la Mère-Nourrice dans le discours médical sous les Lumières Jean Mainil ON A REPROCHÉ à la médecine moderne d'être devenue ésot érique. Mais, comme le souligne Anne Marie Moulin, "sous peine de perdre son sens, [la médecine moderne] doit s'articuler avec une des intuitions possibles que les laïcs ont de leur corps, faute de quoi elle serait violence indicible".1 Il en va de même pour la médecine des Lumières. Si la médecine requiert une certaine aliénation du patient envers son propre corps pour installer dans cette fissure un discours scientifique explicatif, une totale aliénation envers le corps est en contradiction explicite avec une autre tendance de la médecine typique de la fin du XVIIIe siècle, tendance qui a repris récemment de l'importance: l'idéologie prophylactique et hygiéniste. Dans le cas extrême où la fissure, l'aliénation entre le patient et son corps serait totale et ne pourrait être comblée que par un discours médical qui les relie, le corps du patient serait alors soumis à une médecine toute-puissante. Mais, aliéné, le patient perdrait alors tout intérêt dans une machine à laquelle il n'entend rien et sur laquelle il n'a aucun pouvoir, ce qui est en opposition totale au principe de prophylaxie. Pour convaincre, la médecine doit donc créer un effet double d'aliénation et de sympathie entre le patient et son corps. Or, s'il ne peut créer avec le corps malade (et, dans le cas de la prophylaxie, bien portant mais en équilibre instable de santé) des différences incommensurables, le discours médical ne peut pas non plus s'aliéner du discours médical qui le précède et rompre tous les ponts avec ce discours hégémonique par lequel passaient la compréhension et la sympathie du patient. Pour convaincre, le discours médical devra travailler par retouches. Pour reprendre les mots de Daniel Teysseire et de Corinne Verry-Jolivet, le discours médical devra travailler par déculturation et enculturation1, c'est-à -dire par la contamination d'un savoir ancien dans lequel il faut que rentre un "virus"3 qui, petit à petit, contaminera l'ancien système de savoir qu'il transformera, à partir d'un savoir commun et acquis, en une somme médicale et philosophique identifiée à la fois comme avant tout nouvelle mais aussi susceptible d'être comprise . La contamination épistémologique sera appelée à jouer un rôle 14 Fall 1997 Mainil d'autant plus important que, en dehors de toute "découverte scientifique " (c'est-à -dire l'appareil narratif qui permet à un fait d'être présenté non seulement comme nouveau mais en rupture totale avec un savoir ancien qu'il menace de contaminer), la médecine des Lumières a, par un éréthisme symptomatologique théologico-moral, en fait contribué à créer les syndromes qu'il était question de soigner. Dans la vision linéaire de l'avancement des sciences, pour que la médecine fasse un pas en avant, il faut que soient identifiés de nouveaux remèdes, ou que soient créés, ou repérés et rassemblés, des symptômes (ou des prodromes si le discours se veut prophylactique) qui seront synth étisés en nouveaux syndromes. Il y aura ainsi, par une contamination du cadre heuristique épidémiologique lui-même, naissance de nouvelles maladies qui épouseront dans leur ensemble un programme idéologique philosophico-médical pré-rédigé. Dans sa quête d'auto-légitimation, la médecine peut ainsi infecter le corps du patient pour mieux le soigner. Le discours médical en quête d'autorité peut ainsi devenir lui-même pathog ène: l'épidémie finira par être iatrogène. Ce sera le cas de l'onanisme au XVIIIe siècle, de l'hystérie et de l'homosexualité au XIXe siècle, sans parler du pénis de Freud qui ne sera jamais aussi grand que quand il sera réclamé par ceux et...

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