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Politique des intellectuels Tzvetan Todorov QU'EST-CE QU'UN INTELLECTUEL? Pour ma part, je délimite l'usage de ce mot de la manière suivante: c'est un savant ou un artiste (catégorie qui inclut les écrivains) qui ne se contente pas de faire œuvre de science ou de créer des œuvres d'art, de contribuer donc à la progression du vrai ou à l'épanouissement du beau, mais qui de plus se sent concerné par le bien public, par les valeurs de la société dans laquelle il vit et qui participe donc au débat concernant ces valeurs. L'intellectuel ainsi compris se situe à égale distance de l'artiste ou savant qui ne se soucie pas des dimensions politique et éthique de son œuvre; et du prêcheur ou du politicien professionnel, qui ne crée pas d'œuvre. Or les intellectuels ont un rapport problématique à la vie politique de leur pays. Je ne pense donc pas ici aux cas extrêmes, celui du créateur enfermé dans sa "tour d'ivoire" ou celui de l'ex-créateur, devenu militant au service du pouvoir, ou de la Révolution qui doit Ie renverser, qui n'est plus guère différent des autres militants. La grande majorité des intellectuels n'entre pas dans ces catégories bien délimitées. On pourrait approcher la question de plusieurs côtés. Les trois voix Le philosophe et sociologue américain Christopher Lasch a proposé une typologie des intellectuels. Il identifie trois rôles, qui correspondent aussi en gros à trois périodes de l'histoire: l'intellectuel comme voix de la conscience; comme voix de la raison; et comme voix de l'imagination. Dans le premier cas, il est moraliste et s'appuie sur les traditions et la religion; c'est le modèle le plus ancien. Le second s'oppose au premier à l'époque des Lumières, et la figure idéale devient ici le savant. Le troisième correspond à la révolte romantique contre les Lumières; il s'incarne dans le marginal, le poète maudit, l'artiste. Chacun se place donc sous une bannière différente: le bon; le vrai; le beau. Lasch ne cache pas ses préférences pour le premier modèle, auquel il nous invite de revenir, après les errements des Lumières et du romantisme; il souhaite "faire revivre la tradition à demi oubliée du discours moral et public, dans lequel l'intellectuel adresse son appel à la conscience, plutôt que, 8 Summer 1997 Todorov soit à la raison scientifique, soit au rêve romantique de libération". Et il est prêt à assumer le "retour à la religion" qu'un tel choix implique à ses yeux. Ce qui me convainc dans le raisonnement de Lasch est son refus de sacrifier les valeurs éthiques à quelque autre catégorie. Le bien ne se réduit pas au beau, le bien ne se déduit pas du vrai. L'artiste en tant que tel, le savant en tant que tel n'ont pas de leçons de morale à nous donner; ils ne sont pas plus sages que le citoyen ordinaire. En même temps, deux points, dans cette typologie, me paraissent discutables. Le premier concerne l'identification de la morale avec la religion (et plus généralement avec la tradition)—ce en quoi Lasch est rejoint, mais avec des arrièrepens ées opposées, aussi bien par les conservateurs que par les libertaires (la morale, c'est la religion, donc c'est bon; la morale, c'est la religion, donc c'est mauvais). Mais on peut fonder la morale sur autre chose que l'idée de Dieu; par exemple, en suivant les enseignements de Rousseau et de Kant, sur l'idée d'humanité universelle et d'irréductibilité de l'individu. C'est ce que désignait, entre autres, le vieux terme d'"humanisme". Le second point qui fait pour moi problème est solidaire du premier, mais me paraît plus important encore: c'est de voir opposer conscience et raison, et donc de postuler que les lois de la conscience sont irrationnelles . Lasch y parvient...

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