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Le Misanthrope mis en tropes: Molière, Marmontel et Rousseau Brigitte Weltman-Aron POUR LES AUTEURS DRAMATIQUES et les critiques littéraires du XVIIIème siècle, Molière est une figure d'exception: il est universellement reconnu comme le maître insurpassé de la comédie française, et parfois même jugé supérieur aux auteurs classiques comme Plaute et Terence. La tradition selon laquelle Boileau aurait répondu à Louis XIV que Molière était le plus grand auteur du siècle est généralement citée avec approbation, et Le Misanthrope est considéré (avec Tartuffe ) comme le chef-d'oeuvre incontestable de Molière. Comme le dit Diderot, la supériorité indéniable de Molière est intimidante, et pourrait même empêcher d'écrire l'auteur qui lui succède: "Il est des endroits, dans Les Femmes savantes, qui font tomber la plume des mains. Si l'on a quelque talent, il s'éclipse". ' Or on sait par ailleurs que Diderot a été un des plus ardents défenseurs d'une réforme de la scène et même, au-delà , d'une réforme par la scène, se faisant le théoricien d'un nouveau genre, le drame bourgeois, ou comme le dira Beaumarchais plus tard, le genre dramatique sérieux. Monique Wagner a bien montré2 que l'admiration générale pour Molière au siècle des Lumières n'empêche pas des critiques importantes, dont la plus célèbre aujourd'hui reste sans doute la controverse de Rousseau, La Lettre à d'Alembert sur les spectacles.3 Au XVUlème siècle on reproche par exemple à Molière des dénouements maladroits, et on propose de remplacer le rire par l'émotion, jugée à la fois plus décente et plus "cathartique" pour le groupe social que représente en microcosme le public au théâtre. Rousseau reprend certaines de ces vues en affirmant d'une part que "Molière est le plus parfait auteur comique dont les ouvrages nous soient connus" (181), et d'autre part qu'une pièce comme Le Misanthrope pourrait être améliorée dans son argument même: "Au risque de faire rire aussi le lecteur à mes dépens, j'ose accuser cet auteur d'avoir manqué de très grandes convenances , une très grande vérité, et peut-être de nouvelles beautés de situation" (190). C'est dire qu'on peut (si l'on n'a pas peur du ridicule, comme le souligne Rousseau, qui indique toujours que si Molière a échoué, c'est délibérément4) imaginer non seulement une autre voie pour la comédie (comme le suggère entre autres Diderot), mais encore une 82 Spring 1996 Weltman-Aron réécriture de Molière qui se donne implicitement comme correction. C'est ainsi qu'après avoir indiqué ce qu'a "manqué" Molière, Rousseau propose en note la conséquence attendue de son argument, à savoir réécrire la pièce: Je ne doute point que, sur l'idée que je viens de proposer, un homme de génie ne pût faire un nouveau Misanthrope, non moins vrai, non moins naturel que l'Athénien, égal en mérite à celui de Molière, et sans comparaison plus instructif. (191)5 Les termes de ce passage de La Lettre à d'Alembert sont frappants en ce qu'ils semblent redoubler un mouvement déjà à l'oeuvre dans Le Misanthrope de Molière: en effet, on peut dire que cette pièce met en scène et thématise précisément la possibilité de la correction, de l'instruction et de la répétition évoquée par Rousseau ("un nouveau Misanthrope ... sans comparaison plus instructif"). Tout d'abord dans le sens le plus général, reconnu par ses propres contemporains, Molière écrirait, comme le dit Donneau de Visé,6 "contre les moeurs du siècle" (132); "Pour le Misanthrope, il doit inspirer à tous ses semblables le désir de se corriger" (140, je souligne). Cette perspective est confirmée au siècle suivant par la certitude (ou l...

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