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Reviewed by:
  • Making the Voyageur World: Travelers and Traders in the North American Fur Trade
  • Jean-François Lozier
Podruchny, Carolyn —Making the Voyageur World: Travelers and Traders in the North American Fur Trade. Toronto: University of Toronto Press, 2006. Pp. 414.

Le personnage du voyageur, ce travailleur canadien-français du commerce de la fourrure aux XVIIIe et XIXe siècles, occupe une place privilégiée dans le panthéon historique canadien, voire même américain. Or, comme le souligne l'auteur de Making the Voyageur World, les vrais voyageurs demeurent mal connus. Leurs contemporains lettrés, et plusieurs générations d'auteurs folklorisants après eux, les ont réduits à l'animalité – on fait d'eux de « joyeux chevaux de trait » (merry workhorses, 2) – et les ont élevés au statut de héros romantiques hypermasculins. Soucieuse de voir ce qui se cache derrière la caricature, Carolyn Podruchny les a placés au centre de son analyse et en a produit une stimulante histoire socio-culturelle.

L'ouvrage se penche sur la période qui s'étend de la cession du Canada en 1763 à la fusion des grandes compagnies de la baie d'Hudson et du Nord-Ouest en 1821. Cela dit, les bornes chronologiques demeurent plutôt floues. L'analyse tantôt se resserre sur les deux premières décennies du XIXe siècle, âge d'or du commerce montréalais de la fourrure, et tantôt se dilate pour recouvrir une période beaucoup plus longue, allant des années 1680 jusqu'aux années 1870, pendant laquelle le voyageur a existé en tant que catégorie socio-professionnelle. Le monde, pour ne pas dire la mentalité, des voyageurs change assez peu dans la longue durée, suggère ce livre.

Si elle n'est pas sans poser problème, la perspective qui tend vers la longue durée a l'avantage de permettre à l'auteur de faire flèche de tout bois – ou canot de toute écorce – dans un domaine d'étude où les sources sont fragmentaires et peu nombreuses. Les voyageurs eux-mêmes étaient dans l'ensemble non-lettrés, mais Podruchny parvient à retrouver quelques éclats de voix dans les archives judiciaires, les chansons et quelques rares lettres. Elle s'attarde avec perspicacité aux défis méthodologiques inhérents au recours aux sources, beaucoup plus nombreuses celles-là, produites par les bourgeois et commis des compagnies de commerce ainsi que par les voyageurs (avec un petit « v »), hommes pour qui le voyageur canadien-français était un « Autre ». Confrontée par le mutisme des sources, Podruchny fait appel aux volubiles théoriciens : E. P. Thompson sur l'histoire vue d'en bas, Antonio Gramsci sur l'hégémonie, [End Page 640] Mikhail Bakhtin sur le carnaval, Victor Turner sur le rituel, Pierre Bourdieu sur le capital symbolique, par exemple. Elle s'inspire de l'historiographie des travailleurs, notamment des travailleurs de la mer – les voyageurs se découvrent des cousins baleiniers et pirates.

Sous la plume de Podruchny, le voyageur se profile comme prolétaire des bois et rivières. Et, comme tout prolétaire digne de ce nom, il s'avère que celui-ci façonnait activement son expérience, son « monde » (d'où le titre, Making the Voyageur World). Pour lui, le voyage de Montréal vers l'ouest devenait un déplacement à la fois géographique et culturel, l'occasion de se créer une identité distincte.

Il ne fait aucun doute pour Podruchny que les voyageurs conservaient des racines canadiennes-françaises, catholiques et paysannes : ils demeuraient ancrés dans les fermes laurentiennes; ils parlaient la langue de leurs parents et conservaient généralement leurs croyances et pratiques religieuses. Le « monde » des voyageurs était néanmoins un monde de l'entre-deux et, selon l'auteure, c'est la liminalité qui caractérisait leur expérience. Les peuples autochtones, parmi lesquels ils s'aventuraient, constituaient une deuxième source principale d'influence. Aussi ce livre passe-t-il en revue les relations des voyageurs avec les gens de l'intérieur, qui devenaient amis et amantes, compagnons...

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