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Reviewed by:
  • Romans de l’émigration (1797–1803)
  • Claire Jaquier (bio)
Stéphanie Genand. Romans de l’émigration (1797–1803). Paris: Honoré Champion, 2008. 592pp. €90. ISBN 978-2-7453-1613-4.

Proposant une anthologie de quatre romans d’émigration, Stéphanie Genand contribue heureusement à la révision d’un vieux préjugé de l’histoire littéraire. Dans sa vaste étude consacrée au Mouvement des idées dans l’émigration française, 1789–1815 (1924), Fernand Baldensperger accordait une attention soutenue aux mémoires d’émigrés et d’émigrées, et privilégiait ces textes de témoignage aux dépens du roman d’émigration, qu’il jugeait un peu pauvre et par trop soumis aux lois du genre sentimental. Un regain d’intérêt se manifeste depuis peu pour ces romans qui narrent l’histoire de la Révolution d’un point de vue individuel, alliant les ressources du pathétique et du récit véridique, et inventant une figure littéraire promise à un bel avenir: celle de l’émigré, du proscrit, de l’inadapté au monde. La récente publication dans la collection Folio de L’Émigré (1797) de Sénac de Meilhan, édité par Michel Delon, celle du collectif intitulé Destins romanesques de l’émigration (2007), témoignent de cet intérêt pour une production qui anticipe le réalisme en engageant le genre romanesque sur la voie d’une littérature articulée à l’Histoire, à la politique, aux réalités collectives.

À l’exception de L’Émigré de Sénac de Meilhan et du beau roman Trois femmes (1796) d’Isabelle de Charrière, les romans d’émigration ont été oubliés par l’histoire littéraire. S. Genand s’emploie à donner, dans la bibliographie, la mesure d’un corpus qui compte plusieurs dizaines de romans, parus entre 1790 et 1850. Ce corpus ouvert pourra, au gré de recherches futures, s’étendre à d’autres romans d’émigration écrits ou traduits en français: romans anglais, ainsi La Femme errante (1814) de Frances Burney; romans allemands, ainsi Claire du Plessis et Clarant, ou Histoire de deux amants émigrés (1794) d’Auguste Lafontaine; romans [End Page 466] suisses, ainsi les Lettres de Clémence et d’Hippolite (1806) de Constance de Cazenove d’Arlens. Dans cet ensemble, S. Genand a fait un choix judicieux de quatre œuvres qui illustrent aussi bien la diversité des formes adoptées (roman par lettres, pseudo-mémoires, nouvelle), que la diversité des traditions romanesques empruntées (roman sentimental, roman libertin, roman noir). Elle nous donne à lire Les amours et aventures d’un émigré (1797), de A.-J. Dumaniant, Lioncel ou l’émigré, nouvelle historique (1800), de Louis de Bruno, L’innocence échappée de plus d’un naufrage (1801), roman anonyme, et Le retour d’un émigré, ou mémoires de M. D’Olban (1803), de B.A. Picard.

C’est par sa préface, substantielle et pertinente, que l’anthologie de S. Genand prend place parmi les ouvrages critiques consacrés au roman de la fin de l’Ancien Régime et de la Révolution. A côté des travaux sur le sujet qu’on doit à Béatrice Didier, Mona Ozouf, Valérie Cossy, Lucia Omacini ou Malcolm Cook, on comptera désormais la préface de S. Genand, excellent petit essai de 60 pages intitulé « Le roman d’émigration ou l’identité en question ».

L’auteur accorde la dignité de genre spécifique au roman d’émigration—ce qui mériterait peut-être discussion—en montrant la cohérence du corpus sur une soixantaine d’années, et en faisant valoir la participation de ces romans à l’invention d’une esthétique nouvelle sous la Révolution, marquée par « l’ancrage du romanesque dans l’histoire » (19). Alors que s’attache encore au roman la définition classique de narration fabuleuse, le souci du vrai et les sujets d’actualité s’imposent aux romanciers et aux romancières. L’histoire collective de la Révolution, les destins individuels des émigrés sont si surprenants, violents, énergiques, captivants, qu’ils forcent les barrières symboliques instaurées par les genres, leurs formes...

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