La Querelle de la statue de Baudelaire: Août-décembre 1892 (review)

Un livre de référence sur une polémique peu connue, La Querelle de la statue de Baudelaire offre une lecture kaléidoscopique qui est aussi riche en perspectives que l'époque sur laquelle elle porte. Tandis que la "Préface" d'André Guyaux et l'introduction à l'"Histoire de la statue" de Guillaume Peigné situent la querelle et dans le cadre de l'histoire littéraire, et dans la tradition de disputes qu'ont provoquée les monuments sculptés au xix^e siècle, l'organisation chronologique des documents qui composent le texte de l'affaire permet de capter la complexité des mentalités de l'époque, qui se trouvent si souvent en conflit, l'une avec l'autre, pendant la période fin-de-siècle.

Cette fois, cependant, le désaccord s'élabore et s'envenime principalement dans la presse, sous les yeux d'un large et multiple public qui est tantôt amusé, tantôt ébahi ou exaspéré de l'aigreur toujours croissante de la dispute. En effet, la querelle semble atteindre son apogée vers la fin de septembre 1892. C'est le moment où, suite à une volée de quiproquos lancés dans divers journaux et revues, un duel "a failli avoir son dénouement sur terrain" (298). D'un côté, on trouve Ferdinand Brunetière et ses adhérents, qui accusent le "baudelairisme" et la doctrine de l'art pour l'art d'avoir corrompu "systématiquement la morale" et déshonoré "la notion même de l'art" (104, 109), et de l'autre côté, Albert Delpit et ses adhérents, qui prennent la défense de la poésie de Baudelaire, souvent au nom de "la nouvelle école." C'est enfin un Brunetière excédé qui demande à Delpit "une réparation par les armes" (298). Si fascinante que soit cette partie de la querelle, ce n'est pas toutefois l'aspect le plus engageant de l'affaire.

En effet, grâce au travail de recherche exhaustif qu'ont mené les chercheurs et les éditeurs de ce livre, ce volume nous présente plus de 200 publications (d'origine française, belge, et italienne) qui portent surtout sur la période la plus active de l'affaire: c'est-à-dire, entre le 1^e août et le 31 décembre 1892. Par conséquent, on y trouvera la diversité de voix, de perspectives et de styles d'argumentation qui ont animé la presse de l'époque fin-de-siècle par rapport à cette querelle largement littéraire et esthétique, mais surtout publique. L'organisation chronologique de l'affaire, l'annexe biographique, et les deux indices "nominum" et des "oeuvres de Baudelaire," permettront aussi aux spécialistes et aux étudiants de saisir la richesse de la querelle et la réception variée de la "statuomanie" de l'époque, tout en ouvrant la voie à d'autres lignes de recherche. De plus, ceux qui s'intéressent à Baudelaire témoigneront de la résurrection du procès de 1857 des Fleurs du Mal à laquelle la diatribe de Brunetière donne lieu, aussi bien que d'une véritable métamorphose de l'appréciation de Baudelaire, dont l'oeuvre et la vie sont effectivement appropriées et mises au service des nombreux écrivains qui s'évertuent à se justifier en se servant du poète, tout au long de la querelle. Ainsi, un divers lectorat trouvera dans ce livre une référence utile et une lecture souvent délicieuse.