In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Reviewed by:
  • Images du féminin dans les utopies françaises classiques
  • Raymond Trousson (bio)
Marie-Françoise Bosquet. Images du féminin dans les utopies françaises classiques, SVEC 2007:01. Oxford: Voltaire Foundation, 2007. x+451pp. €99. ISBN 978-0-72940-902-5.

L’utopie est un univers clos, régi par des lois sévères, où se réalise un rêve de bonheur collectif: toute jouissance individuelle y est suspecte, parce qu’elle permet la libérations d’instincts égoïstes néfastes à la cohésion du groupe. L’individu y sera heureux, mais à condition de l’être avec les autres et comme les autres, toute déviance menaçant l’équilibre de l’ensemble. L’utopiste a donc soin de tout régenter, sans tolérer d’exception. Ainsi, la plupart du temps, la famille a disparu, la cellule familiale constituant un noyau réfractaire à l’ordre social qui tend à préférer les intérêts particuliers à ceux de la cité, et le mariage lui-même, voire la procréation, sont soumis à des règlements précis.

Parmi les éléments susceptibles de troubler l’ordre viennent au premier rang les pulsions instinctives et sentimentales, d’où la répression attentive de la sexualité et du sentiment amoureux, ce qui signale d’emblée l’importance de l’élément féminin. Quel rôle est accordé à la femme dans ces univers essentiellement androcentriques? Et la question posée par Marie-Françoise Bosquet: « La femme utopique existe-t-elle »?

Cette importante étude s’attache d’abord à des analyses comparatives chez des auteurs qui ont composé à la fois des traités et des utopies narratives—Fénelon avec le Traité de l’éducation des filles et Télémaque, Rousseau avec l’Émile et l’épisode de Clarens dans La Nouvelle Héloïse, Rétif de La Bretonne avec la série des graphes et, par exemple, La Découverte australe—, ou des auteurs d’utopies « contrastées », comme Sade avec Aline et Valcour dans les épisodes de Tamoé et de Butua. On retiendra surtout l’excellente étude du personnage de Julie dans La Nouvelle Héloïse, où M.-F. Bosquet montre comment la Julie « utopique » transcende, dans une tentative en réalité autodestructrice de dépassement par l’illusion, sa passion interdite pour Saint-Preux et comment, lorsqu’elle réintègre la trame romanesque, elle est condamnée à l’échec et à la mort. Dès le départ, et cela se vérifie chez Sade, Rétif, Fénelon ou dans La Colonie de Marivaux, le genre utopique confère à la femme une force subversive redoutable qu’il faut contrôler par une sorte d’effacement de la présence féminine (poussé à l’extrême dans l’épisode de Butua chez Sade, où elle est littéralement déshumanisée). Cet effacement se révèle comme une spécificité du discours utopique, qui subordonne obligatoirement la femme à l’ordre masculin, parce qu’elle éveille des tentations susceptibles de remettre en question l’ordonnance de la cité idéale.

Une fonction féminine, cependant, paraît devoir être préservée, [End Page 576] dans la mesure où il semble possible de l’encadrer dans un ensemble structuré: celle de la mère. On trouvera ici l’étude d’oeuvres aussi diverses que l’Imirce de Dulaurens, où la femme, ramenée à la « nature », accomplit sa double destinée d’amante et de mère, confrontée aux perspectives de Rousseau, Rétif ou Sade. Mais si Julie, dans La Nouvelle Héloïse, représente l’accomplissement naturel de la femme et vit sa maternité comme le signe de sa rédemption, Rétif la réduit à n’être qu’une créature passive que sa physiologie enferme dans une fonction à la fois hyper trophiée et asphyxiante pour l’individu, entièrement soumis à la domination masculine. Chez Sade, à Butua, la maternité est objet de mépris, elle renforce la faiblesse féminine, tandis qu’à Tamoé, la fonction maternelle, ôtée à la femme, est confiée à l’État. Chez Gabriel de Foigny, l’hermaphrodisme apparaît...

pdf

Share