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MLN 122.4 (2007) 848-874

Le salut occitan :
du genre dialogué à un dialogue de genres
Hedzer Uulders
Université de Padoue

Introduction 

Dès les premières études dont il a fait l'objet, le genre de la lettre d'amour en vers (salut) en langue occitane a posé bien des problèmes à la critique.1 En effet, si on s'accorde généralement pour dire que le genre emprunte la forme de la nouvelle et du roman pour y verser le fond de la canso, c'est sans doute justement ce caractère hybride qui trouble le véritable statut générique du salut, au point d'en faire un genre marginal, souvent négligé par la critique2 . Rien, peut-être, n'illustre mieux ce statut problématique que les nombreuses discussions concernant le corpus des textes appartenant au genre, discussions [End Page 848] qui se sont suivies au cours du temps et qui se poursuivent jusqu'à aujourd'hui. Ainsi, d'un survol de plus d'un siècle de recherches surgirait avant tout un problème : celui de l'essence générique du salut.

Parmi ceux qui ont tenté de le résoudre, Ernstpeter Ruhe continue à occuper une place primordiale. Dans son étude sur la lettre d'amour au Moyen Age3 , il mentionne plusieurs caractéristiques du salut. Or, à côté de celles, classiques, de la structuration épistolaire inspirée par l'ars dictaminis latin4 et de la forme libre de la nouvelle et du roman, il fait de la structure dialoguée du salut l'une des principales caractéristiques du genre :

Die Struktur des salutz […] ist […] eine essentiell dialogische. Der liebende wendet sich von der ersten Zeile ab an seine Dame, die bis zum Schluß der einzige Gesprächspartner dieses « halbierten Dialogs » bleibt.5

Il me semble que c'est là une remarque fondamentale. En effet, étant avant tout une prière d'amour, le salut se veut forcément dialogue. En plus, c'est exactement cet aspect du genre qui le sépare des genres contemporains, et plus spécifiquement de la canso.

Or, pour l'avoir soulignée, Ruhe n'a pourtant jamais développé cette caractéristique du salut ni n'a, jusqu'à présent, la critique. C'est pourquoi je l'examinerai dans ce qui suit, non pas dans l'intention de proposer une nouvelle délimitation du corpus, mais afin de mettre en lumière un élément qui constitue, je le crois, une clé d'accès à l'essence générique du salut, expliquant son caractère hybride et qui, ainsi, permettra peut-être finalement de mieux entrevoir la place du salut au sein de la littérature occitane médiévale. Toutefois, avant d'en venir là, il convient de s'interroger sur cette espèce de dialogue entamé par le genre.

Monologue et dialogue

Se pose effectivement une première question : comment définir la notion de « dialogue » ? Le salut est un genre « dialogué ». Cela veut dire que, dans le texte, le je lyrique s'adresse directement à sa dame, comme il est logique de le faire dans une lettre d'amour6 . [End Page 849] Ce faisant, le texte installe un dialogue entre l'amant d'un côté et sa dame d'un autre. Le terme de « dialogue » exige pourtant la réserve suivante : il s'agit d'un « dialogue unilatéral » de l'amant à sa dame, la dernière ne réagissant en aucun cas aux soupirs du premier (c'est ce que Ruhe appelle « halbierte Dialog »). Néanmoins, tout en gardant le silence, la dame est présente dans le texte, car c'est à elle que s'adressent les fréquentes apostrophes. L'on a donc une situation où deux personnes participent directement au texte. Or, on sait que le salut respecte en même temps les cadres du registre dit de la « requête courtoise », défini jadis par Zumthor7 et typique de la canso : étant une prière d'amour...

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