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MLN 117.4 (2002) 710-721



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L'Enfant et l'adolescent,
objets et sujets du désir amoureux dans le discours des lumières

Jean M. Goulemot


Le XVIIIe siècle n'invente pas la sexualité enfantine. Il évite même souvent de l'évoquer. L'enfant que le siècle invente est très largement asexué. Il ne la redécouvre donc pas non plus. Sa démarche est plus complexe, car il en fait néanmoins un objet de discours multiples apparemment libérateurs, mais souvent procédant à des occultations riches, au-delà de leur nouveauté de surface, de non-dits, de restrictions et d'oublis. Michel Foucault a montré dans La Volonté de savoir que l'abondance de discours sur la sexualité loin d'être la voie de sa libération et de sa constitution en objet de savoir, en la diluant, sert indirectement à son occultation 1 .

Admettons d'entrée qu'il existe aussi un XVIIIe siècle, héritier du XVIIe, siècle qui tait une sexualité enfantine ou adolescente, ainsi que le veut la tradition. Même s'il n'en pense pas moins. On est loin encore de ce goût pour les fruits pas encore mûrs des verts paradis des amours enfantines. Une image chrétienne de l'enfant comme animalité, face sombre de l'homme, continue à être véhiculée, et qui reconnaissant en l'enfant toutes les formes du mal, refuse cependant d'en faire état 2 . On ne s'étonnera donc pas que dans les manuels des [End Page 710] confesseurs des XVIIe et XVIIIe siècles, les questions concernant le sixième commandement, même modulées et adaptées, ne sont pas à poser aux enfants. La faute sexuelle, le péché de chair en pensée, en parole ou en actions, appartiennent aux adultes, et comme il n'existe pas de doxa de la sexualité enfantine, on choisit de la taire pour ne pas avoir à la nier. On ne s'étonnera donc pas de la position contradictoire de Rousseau qui, dans les Confessions reconnaît la présence forte d'une sexualité enfantine, la sienne, mais fait comme si elle n'existait pas dans l'Emile avant que le précepteur n'en prenne la mesure, comme par une volonté rationnelle qui déciderait que l'heure est venue, dans Sophie et les solitaires 3 .

Refusons de caricaturer dans ce domaine comme en bien d'autres : l'occultation est souvent là où on ne l'attend pas, et même bien au-delà. Elle ne relève pas nécessairement des lieux les plus conservateurs auxquels on se rassure sur le sens de l'Histoire en les créditant, en toutes choses, d'une volonté répressive. Sa dynamique plus subtile est autre. La volonté de savoir et de dire est souvent plus vive chez ceux qui dénoncent l'excès, le dérèglement que chez les autres. Chez nos philosophes par exemple, dont on attendrait un discours libérateur, l'occultation, le détournement ne sont pourtant pas absents. Ainsi si la sexualité domine les Lettres persanes, dont il conviendrait de relire, à la lumière d'un discours bien présent et même obsédant sur la sexualité féminine, réelle ou jouée face au pouvoir masculin, les lettres de Roxane, de Zacchi, de Fatmé, il faut constater la presque totale absence d'une sexualité adolescente, pourtant présente dans les sérails, à en croire les témoignages des voyageurs en Perse dont Montesquieu s'inspire 4 . La même absence se note dans les Bijoux indiscrets de Diderot qui réserve aux femmes adultes le discours sur la sexualité. Un peu comme si les bijoux enfantins étaient ou absents ou résolument condamnés à être muets.

On pourrait multiplier les exemples de positionnements paradoxaux. Dans le Supplément au voyage de Bougainville, parce que l'enjeu démographique implique une rationalisation des pratiques sexuelles au point de permettre...

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