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MLN 116.4 (2001) 666-688



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Entre l'oraison funèbre et l'éloge historique:
l'hommage aux morts à l'Académie française

Volker Schröder


On connaît les railleries dont Voltaire, dans ses Lettres philosophiques, crible les « soixante ou quatre-vingts volumes de compliments » publiés par l'Académie française :

Tout ce que j'entrevois, me dit-il [un « bel esprit » anglais], dans ces beaux discours, c'est que le récipiendaire, ayant assuré que son prédécesseur était un grand homme, que le cardinal de Richelieu était un très grand homme, le chancelier Séguier un assez grand homme, Louis XIV un plus que grand homme, le directeur lui répond la même chose, et ajoute que le récipiendaire pourrait bien aussi être une espèce de grand homme, et que, pour lui, directeur, il n'en quitte pas sa part. (Voltaire 152)

La boutade du futur académicien nous rappelle une évidence : sous l'Ancien Régime, c'est dans le cadre de l'Académie française que la célébration publique et solennelle des grands hommes s'est institutionnalisée le plus durablement. Mais elle met aussi en valeur un aspect souvent négligé : les effusions de cette « fureur du panégyrique » (Montesquieu 187) ne sont pas réservées aux seuls puissants, protecteurs de la Compagnie; elles couvrent de louanges les Immortels eux-mêmes, qui ont tous, bien qu'à différents degrés, droit à ce même titre de « grand homme ». En 1747, Duclos attire l'attention de ses confrères sur ce « fait même dont on ne paraît pas assez frappé : l'éloge d'un particulier a été mis au rang des devoirs, sans qu'on ait [End Page 666] été étonné d'un pareil projet, et, ce qui n'est pas moins glorieux pour vous que pour lui [Richelieu], ce devoir a toujours été rempli » (Duclos 1 : 47-48). Cinquante ans plus tard, l'Idéologue Garat, préfacier de la cinquième édition du Dictionnaire de l'Académie (abolie en 1793), n'hésite pas à présenter le concert de louanges dont se moquait Voltaire comme une pratique authentiquement républicaine qui aurait aidé à préparer la Révolution :

L'Académie Française, plus que les deux autres encore, donna un autre exemple très contraire au régime monarchique, et qui devait lui être très fatal.

Les éloges publics prodigués aux Rois, n'étaient accordés qu'à eux : on eût dit que la louange, cette dette de la faiblesse, de l'admiration et de la reconnaissance, ne devait jamais être payée par les Peuples qu'à la divinité et à la royauté. L'Académie Française, à leur réception et à leur mort, loua publiquement et solennellement ses Membres de tout ce qu'ils avaient écrit de vrai, de tout ce qu'ils avaient fait de bien; on entendit dans les mêmes pages, et souvent dans les mêmes lignes, l'éloge de Fénelon et de Racine à côté de celui de Louis XIV : les talents et les vertus loués, comme la puissance, commencèrent donc à être regardés comme des grandeurs : en rapprochant les titres on les comparait; en les comparant, il était aisé de voir quels étaient les plus légitimes et les plus beaux. (Garat 268-69)

Etant donné ces jugements divergents que les Lumières portent sur l'éloge des académiciens, il m'a paru intéressant de remonter à ses origines, d'essayer de reconstituer son développement - plus tortueux qu'il ne semble - à travers le XVIIe siècle, et d'esquisser ses avatars au siècle suivant. Je me limiterai au cas, primordial, de l'éloge funèbre 1 : en suivant les efforts de l'Académie française pour trouver une manière convenable de rendre hommage à ses morts illustres, nous pourrons, je l'espère, explorer par un biais particulier les pratiques commémoratives en usage sous l...

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