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MLN 116.4 (2001) 627-629



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Préface :
Le culte des Grands Hommes


L'époque des Lumières semble bien, dans l'histoire contemporaine, en France, avoir apporté avec elle une nouvelle forme et un nouvel usage du « culte des Grands Hommes », qui aboutissent à la « Naissance du Panthéon », comme le montre le beau livre de Jean-Claude Bonnet 1 . Cette naissance d'un culte constitutif de la vision de la République et de la Nation, et plus généralement d'une certaine idée de l'Humanité, et l'importance politique considérable d'un tel déplacement qui défait profondément la représentation de la Monarchie, désignent, en amont et en aval, une histoire longue qu'il nous a semblé intéressant d'interroger.

Les textes réunis ici engagent donc, par points successifs, dans l'ordre d'une chronologie qui va du Moyen-Âge au XIXe siècle, une interrogation sur les formes et les usages de ce « culte », sur leurs variations, sur les institutions qui assurent celui-ci ou qui en sont issues, et singulièrement sur la place donnée aux œuvres littéraires 2 . Les singularités liées aux situations politiques et à l'ordre des représentations symboliques permettent de mesurer combien ce « culte des Grands Hommes » connaît de variations, mais aussi comment il incarne toujours des options déterminantes sur la liberté, sur la mémoire, sur la hiérarchie des valeurs, sur l'espace politique dans son ensemble.

À travers les « moments » retenus, des émergences successives apparaissent.

Jacqueline Cerquiglini-Toulet montre comment dès le XIVe siècle, dans une société chrétienne, se met en place l'idée de renom, et comment la représentation des « grands écrivains », liée à des [End Page 627] dominantes rhétoriques et poétiques, s'élabore, comment une forme nouvelle de « postérité » s'invente. Avec Montaigne, comme le montre Gérard Defaux, une sorte de méfiance vis-à-vis de la dignitas s'installe, au profit d'une considération complexe, profonde, pour ce qui se transmet d'humanitas à travers les œuvres, dans la reprise vive des pensées, les seuls « monuments » désirables étant constitués par le mouvement même des pensées à travers le temps. Volker Schröder, en étudiant le déplacement des « genres » rhétoriques dominant à l'Académie française dans l'Age classique et jusqu'à la Révolution (impasse de l'oraison funèbre, invention des séances de réception, importance de l'éloge historique), montre les déplacements décisifs, profondément politiques, qui affectent l'institution et comment se défait le long temps de stabilité « monarchique » et de l'apparat louis-quatorzien.

Les tensions et les contradictions de l'instauration du « culte des Grands Hommes » sont extrêmes dans le cours du XVIIIe siècle. Jean-Claude Bonnet montre l'importance prise par les Hommes de Lettres, « grands maîtres autoproclamés du culte des Grands Hommes », mais signale en même temps la vigueur des résistances à un tel culte, avec Louis-Sébastien Mercier en particulier, tandis que David Bell décrit, à travers, par exemple, l'usage des « biographies collectives », les stratégies complexes d'un « patriotisme royal », et montre que la monarchie française a tenté de développer pour sa défense et illustration un programme idéologique complet reposant également sur le culte des Grands Hommes. Ce « culte » est manifestement l'objet des options les plus déterminantes quant à la pensée et à l'institution d'un espace public, et à la conception de la citoyenneté elle-même. Ce que montre aussi Wilda Anderson, en décelant, dans un chiasme paradoxal entre Lavoisier et Robespierre, et dans l'ombre de Rousseau, la constitution d'un « sujet collectif », et la manière dont la forme radicale de la Révolution qu'est la Terreur exclut le culte des individualités. Au XIXe siècle enfin, les ambiguïtés et les ambivalences d'un tel culte, réversible en haine des grandeurs, semblent être...

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