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  • Poétique de la critique picturale symboliste
  • Micéala Symington

C’est en 1890 qu’Oscar Wilde publie «The Critic as Artist» 1, dialogue critique où il expose sa conception de l’art. S’inscrivant dans la lignée de Baudelaire, qui avait déclaré que la critique devait être «partiale, passionnée, politique» 2, Wilde va plus loin encore et annonce que la critique peut être un moyen de création littéraire:

«Et ainsi la peinture devient pour nous encore plus merveilleuse qu’elle ne l’est réellement, et elle nous révèle un secret dont en vérité elle ignore tout, et la musique de la prose mystique est aussi douce à nos oreilles que fut la musique de ce flûtiste qui a prêté aux lèvres de La Gioconda ces courbes subtiles et empoisonnées» 3 .

Ainsi, la critique complète et dépasse son objet d’inspiration, y découvrant une force symbolique ignorée par l’œuvre d’art elle-même. L’écrit critique réclame donc son indépendance, il exige une autonomie par rapport à l’image picturale qui l’a inspiré, et doit acquérir l’autonomie de l’art.

Mais cette indépendance que réclame Wilde pour la critique dans «The Critic as Artist» n’est en réalité que la mise en forme systématique des idées esquissées déjà dans ses écrits critiques précédents. En 1877, lorsqu’il est encore étudiant à Oxford, Wilde publie un compte rendu d’une exposition de peinture de la Grosvenor Gallery 4, à Londres. Dans cet article, il décrit un tableau de G. F. Watts intitulé «Love and Death». La description de Wilde est passionnée et subjective, selon les préceptes de Baudelaire, et va jusqu’à transformer l’image en récit: [End Page 1110]

«La Mort, une forme géante, voilée d’étoffes grises, entre avec une puissance inévitable et mystérieuse, frayant son chemin à travers toutes les fleurs. Un pied est déjà sur le seuil, et une main implacable est étendue pendant que l’Amour, un beau garçon aux membres souples et dorés, et aux ailes couleur d’arc-en-ciel, se dérobant comme une feuille froissée, tente vainement de barrer l’entrée avec ses mains» 5 .

En utilisant la forme progressive, que la traduction française ne restitue évidemment pas (“Death [...] is passing in [...]”), Wilde transforme l’image statique en action et, par le choix des adjectifs (inevitable, relentless, vain), il suggère une suite à l’histoire. Loin de rechercher la description fidèle du tableau, il l’utilise plutôt comme tremplin pour sa propre imagination artistique. C’est pourquoi sa description ne se limite pas au présent:

«Une petite colombe, insensible à l’agonie du conflit terrible, attend patiemment au pied des marches [la sortie de] son camarade de jeu; mais elle attendra en vain, car bien que le visage de la Mort nous soit caché, nous voyons, à la terreur dans les yeux et les lèvres tremblantes du garçon, que, comme Méduse, ce fantôme transforme tout ce qu’il regarde en pierre [...]» 6 .

La colombe «attendra en vain», affirme Wilde. Cette projection dans un avenir étranger à l’image est présentée comme une vérité poétique qui se fonde sur les lois de la vraisemblance: la terreur dépeinte dans les yeux du garçon indique une issue terrible.

Wilde présente donc sa critique comme la restitution d’un événement gelé par la peinture. Il reprend la théorie de Lessing 7 selon laquelle la peinture est spatiale, par opposition à la nature temporelle de la littérature, qui relève plus du domaine de l’intelligible. La critique d’art ajoute ainsi la temporalité à l’image:

«L’image qui teint la toile ne possède aucun élément spirituel de croissance ou de changement [...]. Le mouvement, ce problème des arts visibles, ne peut être vraiment réalisé que par la littérature» 8 .

Mais si Wilde réclame la liberté artistique pour la critique, il refuse cette indépendance à l’image...

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