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  • “Fils de rien”
  • Nina Glaser (bio)

Jenin, fils de rien, 1 “une farce géniale et méconnue du XVe siècle,” 2 est l’histoire d’une recherche en paternité:

Et pourtant le povre Jenin C’est voulu mettre par chemin, Cherchant de recouvrer ung pere.

(v. 138–140)

A travers cette recherche de son père, de son origine, c’est son identité—ce que c’est que moi (v. 450)—que Jenin interroge.

Au terme de sa quête, qui se finira dans un ultime vacillement faisant douter Jenin de son existence même—

Et pourtant je conclus en somme Que je suis et si ne suis pas.

(v. 445–446)

—celui-ci, se donnant un patronyme en même temps qu’un titre à la farce, ne pourra que dire:

Je suis Jenin, le filz de rien.

(v. 426)

Si cette farce est “géniale,” c’est qu’elle pose de façon exemplaire et avec une remarquable pureté la question de la filiation qui obsède [End Page 709] toute la littérature médiévale. 3 De ce que Jenin échouera finalement à se trouver un père, il ne faut pas en conclure pour autant qu’il y aurait, ici, “échec de la métaphore paternelle.” 4 Il me semble, au contraire, que cette farce démontre, avec beaucoup d’évidence, que l’absence du père réel est plus que compatible avec la présence du Nom-du-Père. Le rôle de ce signifiant fondamental est tenu, ici, paradoxalement, par le signifiant du père manquant: il consiste tout entier dans le mot “rien” prononcé par un devin.

Mais, au-delà d’une traversée sans défaut de l’Œdipe, ce texte nous parle du statut même de la littérature. En effet, Jenin, fils de rien peut apparaître comme une figure idéale du texte médiéval, essentiellement anonyme, à commencer par l’anonymat de l’auteur même de la farce dont le nom reste à jamais inconnu, ce qui fait que son texte, comme Jenin, se déclare “fils de rien.” Cette métaphore si courante de l’oeuvre comme enfant de son auteur s’inverse non moins fréquemment pour faire de l’écrivain le fils de son oeuvre et de l’écriture la quête de l’origine où l’auteur cherche son identité et trouve son vrai nom. Jenin fonctionnerait alors comme reflet, à l’intérieur de la pièce, de la quête qu’y poursuit celui qui l’écrit. Jenin, qui échoue à se trouver un père, mais qui, dans cette recherche, perd aussi sa mère (et nous verrons l’importance de l’homonymie entre père et perd), Jenin ne serait-il pas le symbole de “l’autogenèse” 5 de l’écrivain, et pas seulement de l’écrivain anonyme?

L’itinéraire de Jenin pourrait en effet se rattacher aux “pratiques pseudonymiques médiévales,” comme celles de Chrétien de Troyes 6 ou celles de Villon qui, dans son oeuvre, “se destine à ré-inventer entièrement son nom” 7 et pour lequel “la conquête de ce re-nom (. . .) se confond en dernière instance avec la conquête de l’anonymat,” lui permettant ainsi de se déclarer “fils de son oeuvre.” 8 En suivant le trajet parcouru par Jenin au long de cette pièce qui s’achève au moment où le badin barre son nom et son identité, les frappe d’une négativité qui les divise de part en part, nous verrons comment l’accession à [End Page 710] l’anonymat, qui passe pour lui par la quête chimérique d’un nom légitime, du nom de son père, se termine et se couronne quand il peut faire enfin “l’interprétation étymologique” 9 du seul nom qu’il ait à sa disposition, son prénom, Jenin, par quoi, fidèle aux pratiques pseudonymiques médiévales, il se nomme anonyme. “Filz de rien” qui se déclare “sainct Rien” (v. 456), transformant le r de “rien” en la majuscule d’un nom propre, qui s’origine de son absence d...

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