In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

French Forum 31.3 (2006) 97-121

Figures indécidables et cinéma surréaliste
Vittorio Trionfi
University of Colorado at Boulder

Dans La Parole singulière, Laurent Jenny a remarqué que l'écriture automatique, faute de contraintes qui la régissent, provoque la pro-lifération de "figures-simulacres," c'est-à-dire de figures dont l'orien-tation sémantique est indécidable.1 L'importance de ce type de figures pour la poétique surréaliste et surtout sa présence dans des médias tels que le cinéma n'ont cependant jamais été analysées. Le travail qui suit se propose de rechercher ces figures dans l'horizon cinématographique surréaliste des années vingt, et de les analyser. Il sera ainsi possible de montrer la différence radicale qui existe entre l'appréhension filmique recherchée par les surréalistes—dans leurs textes théoriques et dans leurs scénarios—et l'appréhension du texte invoquée par les productions automatiques, en particulier lorsque s'y présentent ces figures indécidables.

En 1925, Jean Goudal—étranger au groupe surréaliste—publie un article sur le surréalisme et le cinéma auquel André Breton attribuera valeur d'autorité. Ce texte affiche une incompréhension—jamais remise en cause, ni par les surréalistes, ni par la critique contemporaine—à l'égard du type de figures mentionné (et du surréalisme en général). A travers l'examen de cette incompréhension il sera possible de mettre en évidence la raison pour laquelle André Breton ne semble pas tenir compte de ces figures indécidables lorsqu'il est question de cinéma alors qu'il paraît leur attribuer une importance majeure dans les productions verbales surréalistes. Inintelligibles, ne renvoyant à rien (bien que prétendant le faire), les figures indécidables ne peuvent pas être vues. Or ce que recherchent les surréalistes dans le cinéma, c'est la possibilité de donner à voir des images illogiques telles qu'elles sont vues dans les rêves. Ils se concentrent avant tout sur l'apparente immédiateté des choses représentées par les images cinématographiques—le caractère tangible, incontestable, de ce qui est véhiculé par ces images. [End Page 97] A travers celles-ci ils auraient la possibilité de douer les films d'une cohésion interne qui ne reposerait pas exclusivement sur des rapports de sens (comme dans un récit ordinaire), mais renverrait toutefois à des mondes vraisemblables. On le verra plus précisément à travers une analyse de scénarios écrits par les deux plus importants théoriciens surréalistes du cinéma—Robert Desnos et Antonin Artaud.

Un Chien andalou, de Luis Buñuel, se distingue de ce qui a été pensé et produit au sein du surréalisme en matière de cinéma. Il se rapproche du texte automatique et en particulier de la façon dont ce dernier demande à être appréhendé. Une analyse de certaines séquen-ces révèle en effet la présence de segments fonctionnant comme des figures indécidables.

Selon l'article de Jean Goudal, qui traite de l'adéquation de la technique cinématographique à "l'expression surréaliste de la vie,"2 l'activité inconsciente que les surréalistes veulent constituer en "clé de voûte de la vie spirituelle"3 s'exprime de manière non logique. Son article cherche à montrer, entre autres choses, combien "les ambitions antilogiques du surréalisme" sont amplement satisfaites par le support cinématographique alors que, selon lui, l'abandon de "la logique est interdit au langage."4 En partant d'une image de Soupault, "une église se dressait, éclatante comme une cloche," il écrit:

Qui ne voit que le mot église étant enclos, par la vertu du langage, dans un réseau de relations logiques, de même que le mot cloche, le seul fait de prononcer ces deux mots, pour les comparer, évoque ces deux réseaux et nous conseille de les...

pdf

Share