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University of Toronto Quarterly 76.2 (2007) 771-795

« Une des rares tragédies modernes » :
l'adaptation camusienne de Requiem pour une nonne de Faulkner
Tara Collington
Associate Professor, Department of French Studies, University of Waterloo

En 1956, Albert Camus monte sur scène Requiem pour une nonne, une adaptation du roman américain du même nom, publié cinq ans auparavant par William Faulkner. Le Requiem de Faulkner est un texte hybride contenant des passages en prose et des scènes dialoguées. Il envisageait d'en faire une version purement théâtrale, mais c'est l'actrice Ruth Ford qui réalise son rêve en rédigeant et montant sur scène une version américaine de Requiem. Assez curieusement, l'adaptation de Ford, à l'affiche d'abord à Londres puis à New York, doit fermer après quelques semaines de représentations par manque d'intérêt tandis que l'adaptation de Camus connaît un succès mondial. Cela est d'autant plus surprenant puisque la version camusienne est à la fois une traduction et une adaptation du roman; elle s'éloigne donc du célèbre texte de départ. Le Requiem de Camus soulève ainsi deux sujets de réflexion : d'abord, celui de la traduction liée au contexte culturel; puis, celui de l'adaptation d'un roman au théâtre. Son Requiem se prête d'autant plus à l'analyse de l'entrecroisement entre la traduction et l'adaptation qu'il existe plusieurs versions de l'œuvre de Faulkner auxquelles nous pourrons le juxtaposer : une adaptation théâtrale en anglais, plusieurs autres dans diverses langues ainsi qu'une traduction française du roman par Maurice Coindreau. Nous nous appuierons sur cette multiplicité de versions pour analyser en détail le Requiem de Camus; nous tenterons également de mieux comprendre comment les diverses stratégies de traduction et d'adaptation, déployées par le dramaturge français, ont contribué au succès de sa pièce.

Il existe en effet très peu d'analyses de l'adaptation camusienne de Requiem et celles que nous avons pu repérer datent, pour la plupart, des années 1960, époque où la pièce était à son apogée. Le rapport génétique des diverses versions de Requiem est très compliqué et contesté, surtout en ce qui concerne l'inspiration que Camus aurait pu tirer de l'adaptation théâtrale de Ford. Nous commencerons donc notre analyse en synthétisant les recherches de plusieurs critiques de façon à mieux montrer le rapport génétique entre le Requiem et Camus et le texte de départ.

S'il est vrai qu'il y a un livre entier consacré à l'adaptation du roman faulknérien pour la scène, il faut pourtant reconnaître que Requiem for a Nun : Onstage and Off de Barbara Izard et de Clara Hieronymus représente [End Page 771] la pire vulgarisation d'un sujet à grand intérêt. Malheureusement, cette étude se structure comme un roman policier : les auteurs remettent en question la façon de travailler de Camus ainsi que les ressources mises à sa disposition pour « révéler », dans leur dernier chapitre, que Ford avoue avoir envoyé son manuscrit au dramaturge français. Ce faisant, elles suggèrent que la réussite de l'adaptation de Camus s'explique, largement, par le fait qu'il avait accès au texte de Ford. Dans son article « Genèse et avatars de Requiem for a Nun », Michel Gresset, tout en critiquant le style trop anecdotique d'Izard et de Hieronymus, confirme certaines de leurs conclusions. Le critique français, en juxtaposant deux versions de la même scène, montre que Camus s'est servi en effet du texte de Ford pour son adaptation. Dans leur étude, Izard et Hieronymus n'abordent pas du tout la question de la traduction et n'analysent pas l'importance des changements effectués par Camus en ce...

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