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  • Claude Mauriac et l'Oncle Marcel
  • Joanna Zurowska

Tout écrivain espère être lu. Paul Valéry considérait même qu'il faut viser un lecteur choisi—idéal—réticent et subtil et créer pour lui afin de le conquérir et le vaincre. Désirant ardemment que son œuvre fût comprise, Marcel Proust ne cessait de répondre de son vivant à des objections et des attaques venant de toutes parts. Aujourd'hui, À la recherche du temps perdu est, dans la littérature du XXe siècle, une des œuvres les plus lues et les plus commentées. Pourtant, l'idée valéryenne d'un lecteur idéal n'a rien perdu de sa valeur. Et parmi des milliers et des milliers de lecteurs proustiens—amateurs, critiques et écrivains—, Claude Mauriac mérite sans doute cette désignation à plus d'un titre.

Critique et écrivain, fils aîné de François Mauriac (qui rencontra Proust deux fois, reçut de lui six lettres et assista à son enterrement), dès son jeune âge se passionnant pour la lecture et pour l'écriture (il a tenu un journal quotidien durant presque toute sa vie), il a eu toutes les facilités pour faire des reconnaissances de lecteur dans l'univers proustien. En 1951, il a épousé la petite-fille de Robert Proust, Marie-Claude Mante, nouant ainsi une alliance et entrant dans l'intimité de la famille de l'écrivain. Cela lui permettra de découvrir le 10 juin 1986, après la mort de sa belle-mère Suzy Mante-Proust qui disait parfois « l'oncle Marcel », un dossier contenant la dactylographie d'Albertine disparue corrigée par l'auteur, événement de première importance dans les études proustiennes. Le titre du dernier volume du Temps immobileL'Oncle Marcel—est donc tout à fait justifié. Y apparaît le côté familial, social et mondain des rapports de Claude Mauriac avec Proust.

Il en existe aussi le côté littéraire, non moins riche et complexe, car ce lecteur idéal aborde le roman proustien à l'âge de dix-huit ans, en 1932, avec un enthousiasme sincère : « Je commence Du côté de chez Swann. C'est une révélation » et puis le lendemain : « Beauté de Proust et merveilleuse vérité de ce qu'il écrit »1 , pour avouer plus de quarante ans plus tard : « Et mon amour inchangé de Proust me rassure »2 . Témoignage d'une longue et attentive fréquentation de la Recherche. La lecture du roman proustien s'avère une grande leçon qui permettra au jeune Claude Mauriac d'opérer certains choix. Il est vrai qu'il a à ses côtés un écrivain mondialement reconnu, mais il se tourne résolument vers Proust. Comme lui, il abandonne ses premiers essais littéraires (quelques nouvelles que François Mauriac jugea insuffisantes) et se tourne vers la critique littéraire (après la Seconde Guerre mondiale, il va tenir [End Page 6] aussi la chronique cinématographique au Figaro) pour écrire une série d'essais consacrés à des écrivains qu'il apprécie : Marcel Jouhandeau (1938), Jean Cocteau (1945), Balzac (1945), Malraux (1946), André Breton (1949), et Proust (1953). Si dans les trois premiers, il se regarde dans le reflet des autres, dans les suivants, il témoigne d'une liberté de jugement, il se montre un critique achevé et fait preuve de rigueur dans l'examen de l'œuvre, ce qui lui permet d'aboutir à une conception personnelle de la vraie littérature—qui se refuse aux facilités, aux traditions, aux mimétismes conscients ou inconscients, « purifiée de tout ce qui est faux semblant, mensonge, prétention, inflation verbale »—qu'il expose dans L'Alittérature contemporaine (1958). L'apprentissage critique le fait naître à la littérature, car il conçoit un double projet : un roman et une œuvre. L'entretien avec Pierre Daix, concernant L'Alittérature contemporaine, prouve que la gestation a déjà commencé : « Je savais que je devais découvrir ma forme si je voulais écrire le dialogue intérieur en cohérence avec Le Temps immobile...

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