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  • Claude Simon face à Proust :exercices d'admiration
  • Marie Miguet-Ollagnier

Un des derniers textes publiés, à notre connaissance, de Claude Simon, est une lettre laconique du 28 juin 2003 adressée à Roger-Michel Allemand. L'écrivain répondait à de multiples questions que le critique lui avait adressées en vue de la préparation du recueil d'articles : « Le Nouveau Roman en questions (5), une 'Nouvelle Autobio-graphie' ? »1 . Tout d'abord, éludant les questions de savoir s'il a été tenté par l'écriture autobiographique et s'il pratique l'autofiction conceptualisée par Serge Doubrovsky, Claude Simon fait une réponse très générale : « Rien ne sort de rien ». Puis s'appuyant sur une opinion de Flaubert pour juger très secondaire l'intrigue d'un roman (« Celui qui lit un livre pour savoir si la baronne épousera le comte sera dupé ») il se donne comme modèle ultime l'auteur d'À la recherche du temps perdu. « Si donc l'intrigue d'un roman est à tout prendre négligeable, que reste-t-il ? 'Ce qui se cache derrière les deux clochers de Martinville ?' écrit Proust ». Et il donne aussitôt la réponse : « une jolie phrase ». Cette réponse rejoint l'esthétique formulée par Proust dans Du côté de chez Swann2 précisant ce que pourrait être une jolie phrase et fournissant à Claude Simon une des deux épigraphes mises en tête du Tramway : « l'image étant le seul élément essentiel, la simplification qui consisterait à supprimer purement et simplement les personnages réels serait un perfectionnement décisif ».

Nous voudrions relever quelques exercices d'admiration parsemés dans les deux dernières œuvres de l'auteur qui vient de mourir, Le Jardin des Plantes et Le Tramway. Ces exercices rendent hommage à celui qui, avant lui, avait apporté un « perfectionnement décisif » à l'écriture romanesque. Laissant de côté les collages ou prélèvements textuels de la Recherche qu'on rencontre dans Le Jardin des Plantes—nous les avons étudiés il y a quelques années3 —nous relèverons certains reproches superficiels se retournant en éloges de Proust pour nous attacher à quelques séquences apparentées au pastiche. Comment Claude Simon s'efforce-t-il lui aussi de voir clair dans ses impressions, imitant en cela le narrateur proustien cherchant ce que cache un sentiment de plaisir devant l'apparent mouvement des clochers ? [End Page 100]

Éloge de l'invraisemblance

Claude Simon pointe en apparence des défaillances de la technique romanesque de Proust, mais c'est sans doute pour se réjouir de la désinvolture avec laquelle son prédécesseur traite les lecteurs caricaturés par Flaubert, ceux qui s'attachent avant tout au déroulement événementiel : la baronne épousera-t-elle le comte ? On lit dans Le Tramway : « À noter du reste que les problèmes de vraisemblance n'embarrassent pas Marcel Proust qui, au besoin, recourt sans vergogne aux procédés les plus éculés (comme les hasards, les coïncidences, le fortuit) : ainsi, par exemple, lorsqu'il assiste 'involontairement' à la fameuse première rencontre de Jupien et de Charlus, ou encore, lorsque 'fatigué' il entre—encore 'par hasard' et 'pour se reposer un peu'—dans le bordel pour hommes tenu par Jupien et 'surprend' les innocents propos qu'échangent entre eux les faux apaches fouetteurs » (Tramway 58-59). Dans le Discours de Stockholm Claude Simon se réjouissait déjà de la facilité avec laquelle Proust se « débarrassait » d'Albertine en imaginant sa mort causée par une chute de cheval, « peu soucieux des dénouements conformes à la vie du héros auxquels se croyaient obligés les romanciers du dix-neuvième siècle »4 . Autre invraisemblance, celle-ci d'ordre sociologique : comment les citoyens de Sodome peuvent-ils se sentir maudits si vraiment, comme Proust l'affirme, ils « se comptent par milliers dans toute société » (Tramway 59) et si les aristocrates vantent ouvertement « les uns aux autres les charmes et la robustesse de leurs superbes valets de pied » ? L'expérience personnelle de Claude Simon telle qu'elle est évoquée dans Le Tramway fait plutôt...

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