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  • Marcel Proust dans « la chambre claire »
  • Éric Marty

Il y a une omniprésence de proust dans l'œuvre de Barthes, mais cette omniprésence est bien particulière. Si elle infuse l'écriture en profondeur, si elle est tapie dans la plupart de ses recoins—les plus sombres comme les plus éclairés—, elle n'a jamais pris la forme massive et frontale qu'on aurait pu espérer de la familiarité intime de Barthes avec Proust. Cette familiarité qui lui faisait écrire dans Le Plaisir du texte : « Proust, c'est ce qui me vient, ce n'est pas ce que j'appelle »1 .

Dans un entretien de 1974, il en précise très clairement les contours en identifiant La Recherche du temps perdu au texte biblique, référence qu'il faut lire bien entendu à l'intérieur de la généalogie protestante de Roland Barthes :

Proust, c'est un système complet de lecture du monde. Cela veut dire que, si nous admettons tant soit peu ce système, ne serait-ce que parce qu'il nous séduit, il n'y a pas, dans notre vie quotidienne, d'incident, de rencontre, de trait, de situation, qui n'ait sa référence dans Proust : Proust peut être ma mémoire, ma culture, mon langage ; je puis à tout instant rappeler Proust, comme le faisait la grand-mère du narrateur avec Mme de Sévigné. Le plaisir de lire Proust—ou plutôt de le relire—tient donc, le sacré et le respect en moins, d'une consultation biblique2 .

L'œuvre de Proust n'aura donc jamais été l'occasion d'une exégèse de grande ampleur. Les textes critiques se limitent à quelques articles très timides : « Une idée de recherche » (1971), « Proust et les noms » (1972), « Ça prend » (1979), auxquels on peut ajouter une conférence, « Longtemps je me suis couché de bonne heure » (1978), et une séance de séminaire du Collège de France consacrée aux figures constitutives du discours de Charlus3 (1977) : Barthes n'a consacré ni un livre, ni même un article de fond, ni la totalité d'un cours ou d'une recherche à ce qui s'est pourtant donné à lui sous la forme d'un texte canonique et aimé.

Ce qui frappe d'ailleurs, c'est, outre la date tardive du premier texte consacré à LaRecherche du temps perdu (1971), le caractère très oblique et partiel des sujets traités (l'œuvre n'est jamais prise de face), et aussi l'extrême discrétion des supports éditoriaux qui caractérise la publication de ces textes4 . Rien qui puisse attester le projet d'une lecture globale de l'œuvre ou d'un désir d'en élucider le propos. De simples esquisses donc, des notes ou notules, des commentaires qui restent sans suite.

Il serait aisé de justifier le paradoxe en le renversant en nécessité logique. Ce n'est pas seulement parce qu'on échoue toujours à parler de ce qu'on aime, [End Page 125] selon la formule qu'il applique à Stendhal dans l'un des derniers textes qu'il ait écrits ; mais on pourrait dire qu'au fond si Proust n'est nulle part, c'est qu'il est partout. Et, en effet, Proust est partout dans cette œuvre. Il est là avant même que Barthes ne devînt Barthes, dès 1943, dans un article sur les problèmes du roman paru dans la revue Existences du sanatorium de Saint-Hilaire-du-Touvet où il séjourne alors en raison de sa tuberculose5 . Et, lorsqu'on suit, année après année, l'index des noms cités des Œuvres complètes, on note une constance significative, une très régulière présence de Proust qui atteste que l'intimité réelle revendiquée par Barthes avec son œuvre n'est pas feinte.

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Pourtant, il ne faut sans doute pas se satisfaire d'une telle explication. L'absence peut être un signe plus fort, plus profond, plus trouble qu'une présence, et, à vrai dire, il y a sans doute plus de...

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