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  • Le Blanc de France: la construction des signes identitaires pendant les Guerres de religion (1562–1629)
  • Gilbert Schrenck
Le Blanc de France: la construction des signes identitaires pendant les Guerres de religion (1562–1629). By Denise Turrel . Geneva, Droz, 2005. 256 pp.

Le livre consacré par Denise Turrel à la symbolique de l'écharpe blanche durant la période des Guerres de religion analyse dans une féconde étude interdisciplinaire l'émergence d'un signe identitaire qui s'imposera en l'espace d'un demi-siècle comme la marque emblématique de la monarchie française. Ce 'blanc de France', dont le champ d'investigation croise les enseignements venus à la fois de l'histoire et de la sémiologie, apparaît sur le théâtre des opérations militaires à partir de 1562, avant de se constituer à travers diverses modalités d'appropriation, ici finement analysées, en symbole exclusif de la nation, sous l'impulsion décisive notamment d'Henri IV et de Louis XIII. Éclairant avec érudition et élégance cet aspect méconnu de l'imaginaire royal, ce livre offre en bout de parcours une synthèse aussi riche que passionnante sur les pratiques sociales et culturelles par lesquelles une communauté se dote d'une légitimité identitaire. Tout au long de son enquête, Turrel n'a pas manqué d'explorer un corpus impressionnant de sources, extrêmement contrastées, mais convergentes, à l'issue desquelles elle noue les implications multiples de la symbolique du 'blanc'. La démonstration, toujours claire et documentée, trouve ainsi une solution méthodologique et scientifique de premier plan. Sont ainsi convoqués tour à tour les témoignages des historiens contemporains (La Popelinière, La Noue, d'Aubigné, P. Matthieu, Cayet), ou ceux des mémorialistes (Tavannes, Castelnau, L'Estoile, Burel), sans mésestimer l'apport de l'iconographie (Tortorel et Perrissin, les gravures, les caricatures de la Ligue), ou les leçons incendiaires de la littérature pamphlétaire (J. Boucher, L. Dorléans, la Satyre Ménippée). Ne sont pas sous-estimées non plus les leçons tirées de la lecture des ordonnances militaires, ni les réflexions issues des traités à vocation théologique (F. de Sales). De référence en référence, l'approche conceptuelle définit les valeurs de la couleur 'blanche', tout en reconstituant son irréversible affirmation au cœur de l'emblématique royale sous l'Ancien Régime. Signe conflictuel à ses origines, parce que distinctif de la marque identitaire protestante sous le commandement du Prince de Condé en 1562, l'écharpe blanche ne s'impose qu'au prix d'une longue et difficile instrumentalisation légitimée par Henri IV et Louis XIII sous la forme d'un état monarchique catholique, unificateur et pacificateur. Le triomphe du 'blanc' ne s'est pourtant pas réalisé sans payer un lourd tribut à [End Page 267] des représentations emblématiques concurrentielles et radicalement contestataires. Dans des pages du plus vif intérêt, appuyées sur d'excellentes microanalyses (voir en particulier sur la Satyre Ménippée), D. Turrel décrit les nombreuses et parfois violentes résistances qui se sont dressées face à l'emblème conquérant. L'éventail de signes substitutifs — ou alternatifs — de la Ligue (le noir, le vert, le rouge espagnol), les phénomènes de carnavalisation qui conduisent à une véritable diabolisation du blanc royal, mais aussi les rituels urbains de ralliement à Henri IV, forment quelques-uns de ces obstacles à l'affirmation de l'unité nationale autour du 'blanc', finalement dépouillé de sa caractéristique religieuse initiale (on pense au beau vers, plein de nostalgie, d'A. d'Aubigné désignant ses coreligionnaires, qui 'portans l'escharpe blanche ont pris le caillou blanc'). D'une exceptionnelle acuité scientifique et savamment interdisciplinaire, le livre de Turrel jette une lumière inattendue sur la construction identitaire de la France baroque. Fondé sur une excellente connaissance du corpus, fort de ses analyses fines et de son goût des synthèses puissantes, richement illustré aussi, il se recommande absolument à la lecture.

Gilbert Schrenck
Université Marc Bloch-Strasbourg II

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