Oxford University Press
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L’Enchanteur réticent: essai sur Julien Gracq. By Michel Murat . ( Les Essais). Paris, Corti, 2004. 358 pp. Pb €22.00.

Cet ouvrage est une mise à jour du 'dossier' publié par Michel Murat aux Éditions Pierre Belfond en 1992 sous le simple titre Julien Gracq mais maintenant épuisé. La première partie est un essai dont le titre originel, qui résume avec bonheur le propos de Murat, a été retenu pour cette réédition, la seconde propose un dossier critique qui embrasse toute l'œuvre: notice sur chacun des livres de Gracq, y compris le volume Entretiens, datant de 2002, seul titre paru depuis 1992, suivie d'une chronologie et d'une bibliographie sélective, toutes deux mises à jour. Selon la formule des 'Dossiers Belfond', l'ouvrage est exempt de notes critiques et ne constitue donc pas un état des lieux de la critique gracquienne. La mise à jour de tous les renvois des citations au texte définitif de la Pléiade sera néanmoins utile aux futurs chercheurs. L'essai s'organise autour de cinq chapitres, subdivisés en thèmes plus précis, qui évoquent tour à tour les grandes lignes de force de l'univers de Gracq, certaines déjà bien connues, mais toujours réexaminées par Murat avec une grande acuité: les lieux et le rapport de l'homme au monde, le romanesque, la dimension critique, puis l'écriture, pour terminer sur un chapitre intitulé 'le déserteur de l'avant-garde' où les rapports de Gracq au surréalisme tout autant que sa posture singulière sur la scène intellectuelle et littéraire des XXe et XXIe siècles (y compris son rejet de Sartre) sont réévalués. Avec le recul du temps, on notera particulièrement la justesse des remarques sur l'actualité souvent mal connue de Gracq: 'Il faut contester […] la "marginalité" de Gracq par rapport à la littérature de son temps. Cette idée reçue procède d'une image de lui-même que l'auteur a construite avec soin' (p. 194), et Murat de rappeler par exemple que son penchant pour l'autobiographie et l'écriture fragmentaire le rapprochent de préoccupations contemporaines. En définitive, c'est peut-être par sa vision de la femme (analysée par Murat sous la rubrique 'masculin-féminin') que Gracq se révèle le plus en [End Page 415] porte-à-faux avec son époque. Murat n'hésite jamais à nous faire connaître ses goûts, par exemple qu'il considère Un balcon en forêt comme le sommet de l'œuvre de fiction ou qu'il trouve En lisant en écrivant moins 'respirable' que les autres livres de critique ou de fragments, mais il adopte aussi la même discrétion à l'égard de l'homme Gracq que celle de l'édition Pléiade: nulle mention de Prose pour l'étrangère, texte publié hors commerce mais accessible néanmoins au public depuis la publication du premier volume de la Pléiade.

Cet essai se démarque, par sa formule, des travaux critiques parfois fort érudits mais plus difficiles d'accès et plus spécialisés qui se sont poursuivis récemment, mais il garde toute la force et la justesse qu'il avait en 1992 et sa réédition est des mieux venues. Son regard aussi pénétrant que lucide sur ce qui fait la particularité et la cohérence de l'œuvre de Gracq, ainsi que la nature exacte des plaisirs qu'elle dispense, fait qu'il restera comme l'un des meilleurs commentaires sur elle.

Béatrice Damamme-Gilbert
University Of Birmingham

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