In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

  • Introduction
  • L. Cassandra Hamrick (bio) and Suzanne Nash (bio)

"L'origine de la sculpture," nous rappelle Baudelaire, "se perd dans la nuit des temps" (OC 2: 487). Si la sculpture est une des formes d'expression artistique les plus anciennes de l'humanité, c'est aussi un art qui tient au cours des âges un statut privilégié. Car la sculpture dépasse souvent le niveau de simple objet pour devenir un signe visible et tangible de certaines valeurs artistiques et culturelles qui peuvent évoluer avec le temps.

Ainsi l'expression "beau comme l'antique," qui fait du modèle sculptural antique l'étalon de la beauté, sert fréquemment dans la France post-révolutionnaire, et même en plein romantisme, à signaler un chef-d'œuvre. Ceci est le cas non seulement pour les traditionalistes, les "grisâtres" de la vieille génération, contre qui les jeunes romantiques mènent la bataille d'Hernani, mais aussi pour certains flamboyants militants, aux yeux de qui le renouvellement de l'art devait se traduire notamment par le retour à la belle période de la Renaissance et à la "vraie antiquité" (Histoire du romantisme 93; c'est nous qui soulignons). Théophile Gautier éclairera cet apparent paradoxe ainsi:

La sainte insurrection dans laquelle nous sommes fier de marcher depuis notre première jeunesse n'a pas fait sa levée de boucliers contre Homère, Phidias, Virgile, ces demi-dieux de l'art antique [. . .], mais contre cette génération bâtarde, frottée de fausse érudition et de vrai pédantisme, qui a cherché si longtemps [. . .] à passersous son triste niveau toute individualité qui voulait lever une tête factieuse.

(Tableaux 119-20)

Que la "sainte insurrection" en faveur de l'individualisme dans l'art soit considérée par certains des romantiques – et même parmi les plus convaincus – comme un mouvement non contre le modèle antique en soi, mais plutôt contre la fausse antiquité, est indicatif de l'ambiguïté des rapports entre le romantisme [End Page 13] et le classicisme dans les arts en France pendant la première moitié du XIXe siècle.

Pour comprendre la complexité de la dynamique qui infuse justement l'interaction entre les arts, et en particulier, entre la sculpture et la littérature de cette période, il convient d'éviter de réduire ces rapports à une simple question de rupture avec l'ordre existant. Dans l'essai qui ouvre ce recueil, Michel Brix montre à cet égard jusqu'à quel point l'opposition entre les concepts traditionnels de néo-classicisme et de romantisme se révèle problématique dans les commentaires esthétiques du temps (voir "Esthétique néo-classique et romantisme"). Car en dépit des multiples réactions – frénétiques et autres – contre un modèle académique devenu suranné, usé et abusé, la notion de l'antique ne cesse de fasciner, de stimuler la création artistique au sens le plus large du terme (arts visuels, arts plastiques, art littéraire, critique, etc.). On en retrouve maintes traces dans l'expression artistique de l'époque. De nombreux exemples ont été relevés par Rosemary Lloyd, qui fait voir comment l'image de la statue dans la littérature de l'époque renvoie à "une suite de connotations culturelles, sociales et affectives, même quand l'écrivain s'en sert comme un simple cliché" (voir "Lire la pierre: pouvoir politique et sexuel dans la sculpture littéraire du XIXe siècle"). C'est ainsi que les échos suscités par les différents prototypes antiques forment une thématique récurrente dont le sens est à la fois transparent et opaque, évident et subtile: de la restitution (et du renouvellement) du modèle antique dès la Révolution au néo-platonisme latent de la pensée romantique; du répertoire antique qui fournira des thèmes à la poésie tout le long du siècle à la statufication textuelle de figures telles qu'Atala ou Nyssia; de l'énigmatique Vénus d'Ille de Mérimée aux Cariatides de Banville et aux transpositions d'art de Gautier, pour n'en citer que quelques exemples...

pdf