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  • La guerre des sexes dans les Égarements du coeur et de l’esprit de Crébillon
  • Josée S.J. Lauersdorf

La vie sociale de l'élite française du 17ème siècle a été comparée à un théâtre où hommes et femmes construisaient leur identité suivant un rôle (différent selon le sexe, l' âge, la classe sociale et l' état civil) que les convenances et bienséances socio-mondaines de l'époque prescrivaient. La théâtralité de cette vie sociale, cette obsession du comportement et de soi en tant que classe élitiste, capturée en outre dans les romans mondains comme La Princesse de Clèves (1678), se retrouve au 18ème siècle chez Crébillon, Duclos et Laclos.1

Un aspect fondamental attribué à l'hôtesse, à la maîtresse de maison, à la salonnière était celui de "civiliser" ce beau monde en disséminant un idéal de politesse et de bonnes manières, en assurant le "bon goût" en matière d'esprit et de conversation, la discrétion (l'équivalent du bon goût) dans les affaires galantes. Au sein d'un tel système de conventions et de règles publiques appelant à un conformisme social astreignant, le rôle confié à la femme peut être perçu de façon contradictoire, offrant ample matière à réflexion quant à la véritable influence de cette dernière sur la distribution des rôles masculins et féminins. Saurait-on envisager, dans les codes de conduite sociale prescrits par les femmes à la gente aristocratique masculine, une tentative d'émancipation féminine et une forme de guerre de pouvoir, ou devrait-on simplement voir dans les pratiques sociales et conversationnelles des divers salons de l'époque, un refuge de bienséances et de distinctions auquel adhérait sans problème une société d'ordre et de hiérarchie dans laquelle chacun y trouvait son compte?2

Cette question de pouvoir ou domination féminine dans les salons très variés qui se développent jusqu'à la Révolution partage la critique [End Page 1] littéraire. Certains voient dans les salonnières des 17ème et 18ème siècles français de féroces "arbitres du goût,"3 d'impitoyables censeurs de la conduite et de la pensée masculines. Glotz et Maire parlent de petites cours présidées par "une dame au moins un peu mûre" qui règne, implacable, sur ses sujets mâles.4 Kors décrit les règles imposées aux hommes dans certains salons comme socialement et intellectuellement limitatives5 . Goodman peint l'espace masculin dans lequel l'homme est contraint de vivre comme une "prison dorée"6 au sein de laquelle la femme exerce une autorité "despotique" indiscutable.7 Pour Pekacz, la présence de la femme conditionne forme et contenu de la conversation et des moeurs "polies," contribuant à un manque de naturel et de spontanéité vivement critiqué par certains de ses participants, qui, dégoûtés, chercheront ailleurs une forme de sociabilité plus satisfaisante.8

La critique plus traditionnelle au contraire, sans ignorer la "déférence exquise" que les hommes devaient à leur hôtesse et le "spectacle galant jou[é] sans relâche," voit plutôt dans le monde du salon un groupe d'hommes et de femmes "partageant les mêmes distractions et préoccupations intellectuelles" ou sociales.9 Mongrédien, dans La vie des sociétés aux XVIIe et XVIIIe siècles, ne cite que, pour seule "contrainte" à la liberté de conversation et de comportement, le maintien constant du bon goût par une femme souvent conciliante et généreuse, une maîtresse de maison intelligente et accueillante auprès de qui on trouvait "une société cultivée, agréable et profitable à fréquenter," un milieu même où les grands esprits prenaient "conscience d'eux-mêmes," élaborant et affrontant en commun idées et passions.10 Picard, partageant cet avis, souligne l'intelligence initiatrice de ces femmes et l'existence d'un esprit critique qu'il qualifie de "complètement émancipé."11

À la lueur de ces deux courants de...

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