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Reviewed by:
  • Paradis: Une métaphysique de l’infini
  • Jean-Louis Hippolyte
Armine Kotin Mortimer. Paradis: Une métaphysique de l’infini. Coll. “L’infini.” Paris: Gallimard, 2004. 124 pp.

Paradis de Philippe Sollers a l'honneur contestable d'appartenir à la catégorie des oeuvres fréquemment citées et rarement lues. Ce paradoxe tient non à la valeur intrinsèque de Paradis, roman rabelaisien s'il en est, turbulent, gargantuesque et polymorphe, mais à la difficulté de lecture que Paradis, du fait de la prolifération baroque de ses lexies, de leur juxtaposition paratactique et de l'absence de ponctuation à travers le texte. Certes, d'autres auteurs (Dante, Joyce, Simon) avaient déjà entrepris de repousser les limites de l'écriture, mais c'est Sollers qui, avec Paradis, réussit à nous emmener aux limites même du lisible et donc du recevable.

C'était donc un pari audacieux de la part d'Armine Kotin Mortimer que de s'atteler, dans sa "métaphysique de l'infini," à une lecture critique d'un texte pour lequel non-conformité esthétique et résistance à l'interprétation font partie intégrale du projet romanesque. Car, au dire de Sollers lui-même, c'est bien d'un roman qu'il s'agit, roman revenant qui connaît deux incarnations (Paradis I, publié en 1981 et Paradis II, publié en 1986), voire d'un texte qui se "déroule sans fin" (9). Divisant son travail en deux parties, Mortimer choisit de traiter d'abord le contenu de Paradis (3–99) et d'élaguer ses grands thèmes, avant d'en aborder la métaphysique (100–121) et de se pencher plus avant sur le rapport intime qui existe dans le texte de Sollers entre langage et signification. Cette stratégie de lecture a plusieurs avantages. [End Page 133] Elle permet d'abord de débroussailler le massif sollersien, sursaturé de sens (9), et d'exposer sa topographie sémantique, de l'importance de la religion--et l'importance du "verbe" dans la théologie--à l'efflorescence intertextuelle de Paradis, en passant par le rôle de la drogue ou du sexe dans l'acte d'écriture.

L'un des points saillants de la lecture de Mortimer concerne l'importance primordiale d'une littérature en mouvement pour Sollers. Dès lors que Mortimer nous rappelle que le paradis est, pour ce dernier, "le lieu du choix infini" (20), le lecteur comprend mieux le déploiement de structures de prolifération dans Paradis, le livre devenant l'intersection mobile et sans cesse transformée de tous les livres, partition pour une "infinité de mélodies" (23). Mais, précise Mortimer, Paradis vise à être plus qu'une somme de textes. De sorte que Mortimer préfère les métaphores du microprocesseur et de l'hypertexte (formes dynamiques) à celle de l'encyclopédie (somme statique) (106).

Quant à la langue nouvelle de Paradis, écho de la lingua nova de Dante--figure tutélaire de l'ouvrage--, elle s'inscrit dans la longue tradition avant-gardiste qui va de Dante à Coleridge, en passant par Rimbaud et Lautréamont, et permet, comme ses incarnations précédentes, "l'invention de rapports où il n'y en avait pas" (24). Mais là aussi, dans la mesure où tout travail sur le langage suppose, pour Mortimer comme pour Sollers, un travail sur la société (103), la langue de Paradis se doit non seulement d'œuvrer à la destruction de la fonction classique du langage comme représentation (101), mais aussi et surtout de rendre compte de l'atomisation de la culture contemporaine par l'éclatement d'une prose "parabolique" (105). Finalement, au lecteur cynique qui ne verrait dans Paradis qu'une logorrhée verbale à l'image de la morgue omnisciente de son auteur, Mortimer rappelle que la part strictement biographique du texte, bien que réelle, n'est que l'un des piliers de l'édifice et que le foisonnement des voix narratives dans le texte sollersien, sortes "[d']identités rapprochées multiples" (30), "met un point d'interrogation à la question de l'autobiographie" (idem).

Alors que la difficulté de l'écriture de Paradis expose l'irrecevabilité possible...

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