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  • Face au terrorisme « global »
  • Michel Wieviorka

Le terrorisme a longtemps été un thème marginal, presque anecdotique, dans la réflexion des sciences sociales. Il n'a guère intéressé les grands historiens, et, de Dostoïevski à Camus, il a préoccupé quelques importants écrivains ou philosophes plus que les sociologues, les anthropologues ou les politologues. Mais, depuis le 11 septembre 2001, le phénomène appartient aux grands problèmes des temps contemporains, au même titre que la guerre à laquelle beaucoup considère désormais qu'il tend à se substituer, ou du moins à apporter une alternative ou une complémentarité. L'Occident n'est-il pas engagé, si l'on suit le Président George W. Bush, dans une guerre sans merci contre le terrorisme ?

1. Le terrorisme « global »

Lors de colloques et rencontres ou dans diverses publications, la question de la définition du terrorisme se pose fréquemment.

Le plus souvent, la réponse semble se résumer à une impasse : comment se mettre d'accord, si le terroriste des uns est le combattant de la liberté ou le résistant des autres ? À ce niveau en fait superficiel, mais que beaucoup ont le sentiment de ne pas pouvoir dépasser, aucune définition n'est acceptable de manière universelle. Le seul cas de figure qui puisse être envisagé pour parvenir à un accord serait celui bien improbable, où premièrement l'acteur se définirait lui-même comme terroriste, et, deuxièmement, serait unanimement perçu comme tel, non seulement par l'opinion ou la société, mais aussi par ceux au nom de qui, peuple, nation, groupe religieux, classe, etc., il prétend agir. Dans l'histoire du terrorisme, on ne rencontre qu'un seul acteur important se déclarant explicitement terroriste, Boris Savinkov, un dirigeant du Parti révolutionnaire social, actif au tournant du XXe siècle. Et il est exceptionnel qu'une action terroriste ne rencontre nulle part, dans aucun milieu, un minimum de sympathie. C'est en particulier une immense erreur que de nier ou de sous-estimer les [End Page 471] courants de sympathie ou de jubilation suscités par le « 9-11 », y comprit dans le monde occidental.

Si une définition satisfaisante semble a priori impossible à formuler, c'est en fait qu'il convient de dédoubler la réflexion, et d'admettre que le terrorisme relève non pas d'un, mais de deux types d'approches principales, qui peuvent chacun fournir un début ou une partie de définition.

1.1 La rationalité de l'acteur

Une première approche insiste sur la rationalité du terroriste, pour qui, dès lors, le terrorisme est une ressource, un moyen pour parvenir à des fins. Dans cette perspective strictement instrumentale, le terroriste calcule, élabore des stratégies, soupèse le coût de son action pour lui, et le compare à ce qu'il en tirera. De ce point de vue, le terrorisme se définit comme une méthode, reposant sur l'usage de certains moyens. Peut-on être plus précis, et dire quels sont ces moyens ? On entre ici dans des questions délicates. Certains insisteront sur une caractéristique : le caractère disproportionné des ressources mobilisées par rapport aux résultats escomptés. Ainsi, une petite charge d'explosifs déclenchés à distance, sans prendre de risques importants, peut avoir un immense impact politique, en tuant un dirigeant de premier ordre, ou en s'avérant particulièrement meurtrière. En fait, ce type d'approche suppose une rationalité des acteurs qui n'est jamais, au plus, que limitée, inscrite, pour reprendre une expression chère à l'historien Charles Tilly, dans un répertoire qui lui-même, pour une expérience historique, ne varie guère dans le temps. À la limite, on dira d'un acte terroriste qu'il est signé, précisément parce que la ressource mobilisée est typique. De ce point de vue, il n'y a pas beaucoup d'imagination et il y a généralement plus de reproduction que de la créativité, ce qui veut dire que la rationalité de l'acteur est...

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